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Repères sur l’apprentissage 3
Jean Pierre Carrier

Dépasser le behaviorisme : Constructivisme et socio-constructivisme

Le modèle constructiviste de l’apprentissage est le plus souvent associé au nom de Piaget et découle des recherches en psychologie génétique, en particulier de la théorie des stades du développement intellectuel chez l’enfant.

Il est bien connu que Piaget s’est présenté lui-même comme un partisan des méthodes actives en pédagogie. Mais cela ne peut se comprendre que si l’on s’attache à définir avec précision ce que signifie l’idée d’activité. L’activité de l’élève ne peut pas se réduire à une simple occupation. Il ne suffit pas qu’il fasse quelque chose, qu’il réponde mécaniquement à une consigne, pour qu’il soit réellement actif. L’activité, au sens du « constructivisme » piagétien, c’est celle qui est mise en œuvre à l’intérieur du sujet. Ce qui compte avant tout, ce sont les « opérations mentales » que le sujet réalise en mobilisant ses connaissances antérieures et les informations qu’il peut retirer, et non simplement recevoir, de l’environnement. On voit bien alors en quoi la psychologie cognitive, dont Piaget est un des premiers représentants, mais que ses successeurs, même s’ils le critiquent, suivent sur ce point, prétend dépasser le behaviorisme ou même plus radicalement le rejeter en bloc.

En réduisant son approche aux comportements observables, le behaviorisme manque l’essentiel : la prise en compte du fonctionnement intellectuel dans son interaction avec l’environnement, c’est-à-dire, en termes piagétiens, la mise en équilibre des processus indissociables de l’assimilation et de l’accommodation. Mais cette recherche, ou plus exactement cette « construction de l’équilibre », c’est l’enfant, à l’école l’élève, qui doit lui-même la réaliser, même si c’est le maître qui organise la situation ou le contexte où l’élève doit agir. Agir, c’est bien œuvrer dans le monde, par exemple en manipulant des objets ; mais c’est surtout mettre en œuvre une « activité mentale », par exemple un raisonnement dont la structure dépend du stade de développement actuel du sujet et qui varie donc selon son développement et le passage d’un stade à un autre. C’est dans cette activité mentale que réside l’autonomie du sujet, terme qui revient très fréquemment sous la plume de Piaget, par exemple lorsqu’il parle de la « construction autonome du vrai. » L’activité autonome du sujet, c’est celle qu’il met en œuvre à partir de ce qu’il est en fonction de son développement intellectuel.

La perspective cognitiviste développée par Piaget a comme conséquence pédagogique de situer la possibilité des apprentissages scolaires en fonction du développement de l’enfant. Les apprentissages doivent venir à l’heure, ni trop tôt, ni trop tard. A l’école, il est possible de planifier pour l’ensemble d’une classe d’âge la possibilité des apprentissages, dans la mesure où la succession des stades se fait dans un ordre commun à tous. Mais en même temps, puisqu’il n’est pas possible de nier les variations de rythmes entre les élèves, la psychologie cognitive ouvre aussi la voie à la prise en compte des différences individuelles et souligne la nécessité d’une individualisation des apprentissages, du moins pour une partie du temps scolaire.

Pour importante qu’elle soit, la perspective piagétienne a fait l’objet de nombreuses critiques, portant essentiellement sur le rapport entre développement et apprentissage d’une part, et d’autre part sur la dimension sociale des apprentissages. De nouvelles orientations concernant l’apprentissage se trouvent en particulier dans les travaux de Vygotski et de Bruner.

Pour Piaget, le développement précède l’apprentissage, en quelque sorte il le prépare et le rend possible. Certes, l’influence du milieu, familial ou scolaire, peut accélérer ou retarder le passage d’un stade à l’autre, voire le bloquer totalement. Mais il ne s’agit là que de variations individuelles. Piaget insiste beaucoup plus sur la nécessité de la succession ordonnée des conduites intellectuelles. C’est cela que l’enseignement doit prendre en compte. C’est la connaissance du stade actuel de développement de l’élève qui ouvre la possibilité d’une action éducative efficace. On ne peut concevoir d’apprentissage indépendant du développement.

C’est cet assujettissement de l’apprentissage au développement que Vygotski remet en cause. Le développement n’est pas la condition de l’apprentissage, c’est l’apprentissage qui rend possible le développement. Bien sûr l’idée selon laquelle un apprentissage donné n’est pas susceptible d’être réalisé à n’importe quel moment du développement de l’enfant reste valable. Mais cela ne veut pas dire que l’intervention scolaire doive toujours attendre que le développement ait effectué son œuvre. L’école ne doit pas en rester à ce qui est déjà maîtrisé par l’enfant. Elle doit toujours aller au-delà, prendre les devants pourrait-on dire, pour que justement l’enfant se développe en apprenant. La perspective de Vygotski s’appuie ici sur la spécificité de l’école comme lieu où les apprentissages se déroulent dans un contexte social, c’est-à-dire dans une interaction de l’élève avec un maître et au milieu d’interactions de l’élève avec ses pairs dans la classe. Certes, Piaget avait beaucoup insisté sur l’importance de l’interaction de l’enfant avec son environnement immédiat. Mais il n’a jamais pris en compte la nécessité d’une interaction avec l’adulte lors de la réalisation des apprentissages.

Ainsi le constructivisme piagétien est-il réaménagé dans ce qui a été appelé un socio-constructivisme. Cette évolution est riche d’enseignements concernant le rôle du maître dans les apprentissages des élèves et dans la compréhension de ce que c’est qu’apprendre.

Jean pierre Carrier

Mise en ligne le 26 août 2011
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