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Fonder une nouvelle politique de la jeunesse dans les médias

C’est l’appel lancé, sur le site Le Monde.fr, ce 24 février 2012, par les Ceméa, avec la Ligue de l’enseignement, les Francas et la Fcpe avec le soutien de chercheurs et autres acteurs de la société civile concernés par cette question de culture et d’éducation...

En 2002, la grande majorité des associations éducatives, familiales, parentales et les syndicats enseignants, des chercheurs ont établi un même constat : l’urgence de fonder une nouvelle politique de la jeunesse dans les médias, alliant prévention des risques et éducation aux médias.

Ensemble nous mettions l’accent sur la nécessité de changer d’échelle en matière d’éducation aux médias, de généraliser la maîtrise critique de l’image comme pédagogie moderne de la citoyenneté et d’y inclure un enseignement sur le fonctionnement économique, iconique et dramaturgique des médias. Ensemble nous insistions sur la pauvreté de l’offre télévisuelle en direction des enfants et des adolescents en France malgré une abondance quantitative de chaînes commerciales, nous préconisions, la création de chaînes publiques pour la jeunesse, à l’instar des pays ayant une tradition de service public (l’Allemagne et le Royaume Uni), rejoints par de nombreux acteurs. Enfin, nous mettions le doigt sur l’incohérence des dispositifs de protection des mineurs dans les médias, entre ceux qui régissent le cinéma, les jeux vidéo, la télévision, la radio et l’Internet, qui attirait déjà les adolescents avec les blogs et les messageries instantanées.

Dix ans après, qu’est ce qui a changé ? Les pouvoirs publics n’ont pas pris pleinement en compte ces questions qui sont pourtant au cœur des préoccupations des parents. Les réponses apportées frappent par leur insuffisance ou leur incohérence. En 2002, nous avions pris au mot le projet de la gouvernance européenne qui proposait de construire un nouveau type d’espace politique en corégulation avec, parmi les principaux acteurs, la société civile organisée. Celle-ci devait devenir un interlocuteur privilégié des pouvoirs publics, afin de trouver un équilibre tripartite avec les acteurs du marché, toujours plus concentrés. Pour y parvenir, il fallait un encouragement des pouvoirs publics, financier et politique. Au lieu de cela, le gouvernement de 2002, qui connaissait pourtant bien les principes de gouvernance et de corégulation, confirmés dans le Traité de l’Union européenne, a allumé des contre-feux pour éviter la constitution de ce pôle d’associations défendant les intérêts éducatifs.

Les politiques de prévention de l’Internet ont été soutenues de façon privilégiée via des associations groupusculaires, créées pour recevoir les subsides afférents de la Commission européenne, sans aucun relais de terrain ; les associations d’éducation populaire, les associations de parents d’élève ont vu leurs moyens drastiquement "rabotés" ; l’organisme qui incarnait la corégulation pour l’Internet (le Forum des droits de l’Internet) a été supprimé pour donner naissance à un Conseil national du numérique qui permet au gouvernement un face-à-face avec les seuls opérateurs économiques ; le poste de défenseur des enfants a été dilué dans une entité plus large, le défenseur des droits, ôtant toute visibilité à cette catégorie d’âge et à la spécificité de ses besoins.

L’incohérence c’est aussi la faiblesse de la régulation de l’Internet. Autant les actions autour de la protection des droits d’auteurs et droits voisins ont été médiatisées, en dépit d’une efficacité discutable, autant les actions de prévention à propos d’Internet ont été trop parcellaires, malgré le travail mené au sein du programme Internet sans crainte. La solution de l’étiquetage des programmes (couplé avec une régulation horaire) a pourtant porté ses fruits à la télévision : après leur rénovation par le CSA en 2003, suite au rapport précité, les petits pictogrammes de la signalétique constituent une aide plébiscitée par les parents et les enfants. Il en est de même des repères donnés pour les jeux vidéo avec le système PEGI. Mais pour Internet, c’est la voie de l’autorégulation, sans contrôle étatique, sans contrepoids de la société civile organisée, qui est actionnée par la Commission européenne. Aucune initiative n’a été prise en France pour assurer le suivi de cette autorégulation. Même le contrôle régulier des logiciels de filtrage parental, mis en place sous l’égide du ministère de la famille à partir de 2006, a été abandonné depuis deux ans, sans doute par souci de rigueur budgétaire !

Pire, la non-régulation des contenus à risque sur Internet est suivie par une dérégulation des médias audiovisuels : le placement de produit, considéré comme de la publicité clandestine jusqu’en 2010, est désormais entériné à la télévision, la publicité pour les jeux d’argent en ligne a été autorisée très largement, et récemment ce sont la régulation horaire de la pornographie sur les services de télévision à la demande et celle de la publicité sur les chaînes pour les jeunes enfants que le CSA vient de démanteler.

Parmi les nombreux rapports qui ont émaillé la décennie, celui remis en 2009 par Agnès Vincent-Deray à la ministre de la famille (famille et éducation aux médias), rafraîchissait le constat de 2002 et proposait à nouveau une batterie d’actions à vocation générale, éducative, distractive, citoyenne et préventive. Le rôle des médias dans la socialisation des enfants n’est en effet plus à démontrer. Mais aucune des mesures proposées n’a été mise en œuvre. Il est temps que les personnalités du monde politique se mobilisent et se décident à proposer une politique ambitieuse et respectueuse de l’enfance et de l’adolescence dans les médias ! Les mouvements d’indignation des jeunes dans plusieurs pays européens, notamment en France, sont le signe d’un extrême malaise, d’une défiance vis-à-vis des institutions et d’une cassure générationnelle dans lesquels les médias jouent un rôle ambivalent, il est urgent d’y répondre.

Parmi les priorités de cette politique, pour donner un signal fort :

- une politique d’offre publique de contenus destinés à la jeunesse (notamment en termes d’information) sur tous les médias y compris l’Internet, mobilisant des partenariats éditoriaux ;

- une éducation aux médias digne de ce nom, bien plus large que des dispositifs comme le B2I, articulée notamment à l’histoire des arts comme à l’éducation à la citoyenneté, promue comme une opportunité pour le monde éducatif et non une contrainte, avec des ressources propres (en personnel, en formation, en matériel) exercée dans le cadre du service public de l’éducation ;

- un forum multi-acteurs pérenne, avec des représentants des pouvoirs publics, du secteur privé et des associations reconnues pour leurs professionnels de l’enfance et de l’adolescence organisant la corégulation des médias français, y compris de l’Internet ;

- un dispositif signalétique clair, cohérent et en continuité sur tous les médias ;

- la construction de justes rétributions des droits d’auteur, en prenant en compte l’apport culturel que constitue, notamment pour les jeunes, l’accès aux œuvres sur Internet.

Le libéralisme idéologique et sans régulation a fait des ravages dans l’économie dont nous ne cessons de payer le prix. Il est urgent de faire prévaloir dans les médias les enjeux éducatifs et les valeurs qui peuvent conforter le lien social, au lieu de creuser par la dérégulation les inégalités cognitives qui sont le vrai visage de la fracture sociale numérique. Face à cette économie libérale des médias, les familles des milieux populaires sont particulièrement fragilisées. Cela ne pourra se faire sans une corégulation qui reconnaisse sa place à la société civile organisée et oblige les pouvoirs publics à tenir compte des intérêts des citoyens et non des seules entreprises.

Afin de soutenir la mise en œuvre de ces objectifs, il sera nécessaire de constituer une association regroupant l’ensemble des acteurs sociaux défendant une éducation aux médias large, laïque et citoyenne, disposant d’un droit d’action auprès du CSA et des tribunaux.

Claude Allard, pédopsychiatre et psychanalyste ;

Claire Brisset, ancienne défenseure des enfants ;

Monique Dagnaud, sociologue, directrice de recherche au CNRS ;

Eric Favey, secrétaire général adjoint de la Ligue de l’enseignement ;

Divina Frau Meigs, sociologue des médias, professeur à l’université Sorbonne nouvelle ;

Christian Gautellier, directeur des publications et du pôle "Médias, éducation et citoyenneté" des Ceméa (Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation actives) ;

Laurent Gervereau, président de l’institut des images ;

Jean-Jacques Hazan, président de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) ;

Sophie Jehel, maître de conférences à l’université Paris-VIII-Vincennes-Saint-Denis ;

Philippe Meirieu, professeur en sciences de l’éducation à l’université Lumière-Lyon-II ;

Irène Pequerul, déléguée générale adjointe, Fédération nationale des Francas.

Contact  :Christian Gautellier 0689861118

Voir le texte,rubrique Idées, Le Monde.fr

Mise en ligne le 24 février 2012
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