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A propos du festival de Clermont Ferrand
Alexandre Agnès

Clermont ­Ferrand nous voilà !

Jeudi 6 février

Départ de Lille 7h01 / Arrivée à Clermont­ Ferrand 12h28. Premier pas en terre Auvergnate, nos pupilles ont à peine eu le temps de s’adapter à la lumière du jour que nous sommes accueillis par un comité peu commun. Nous n’avons pas encore franchi la porte de la gare que nous sommes stoppés par cinq policiers. Contrôle d’identité, palpations, fouilles de nos sacs. Armes, stupéfiants, rien de tels dans nos bagages. La seule chose que nous pouvons déclarer, c’est que nous sommes ici pour participer au plus grand festival du court­ métrage du monde.

Avenue de l’Union Soviétique ­ c’est à cet endroit que se situe la gare ­ la première impression est austère. Les bâtiments, imposants et froids, nous donnent l’impression d’avoir voyagé dans le temps et d’être retournés en pleine guerre froide. S’en suit quelques déambulations et c’est aux hasard des rues que nous trouvons de quoi nous restaurer.

Arrivée aux CEMÉA. L’entrée, qui a priori ne paye pas de mine, dévoile en fait un endroit tout à fait étonnant. Nous nous engageons sur quelques mètres à l’intérieur d’une ruelle pour arriver dans une charmante petite courée. Nous sommes accueillis par Bertrand Chavaroche, il nous remet le programme du festival, des tickets pour les transports en commun, cinq entrées pour les séances et nous indique notre lieu d’hébergement qui se situe à quelques centaines de mètres de là. Nous nous rendons donc au foyer de jeunes travailleurs Le phare. Nous y découvrons des chambres spacieuses et confortables. Nous avons toute la journée devant nous, en effet, la formation ne commence que le lendemain.

Nous feuilletons le riche programme de ce festival – 400 films diffusés sur une quinzaine de lieux, de nombreuses expositions et ateliers – nous choisissons un peu au hasard notre première séance.

Ce sera autour du court-­métrage américain. C’est à 16h que nous entrons dans l’auditorium Genova. La séance comporte 7 films allant de deux à une vingtaine de minutes. Chaque film est une expérience, l’enchaînement des courts sur des thèmes et des formes complètement différents nous amène dans un autre temps, un autre espace. Du docu sur les mouvements d’occupation de Wall Street au court-­métrage expérimental d’animation, de la fiction coup de poing à la danse contemporaine, il n’y a pas de répit, il n’y a que de l’émotion pure qui va du rire aux larmes et pourtant, ce n’est que de la lumière sur un écran, que des photons qui viennent percuter notre rétine. S’il n’y a qu’un film qu’il faudrait garder en tête, et que ce choix est difficile, il y aurait l’excellent Short term 12 de Destin Daniel Cretton sorti en 2008, fiction qui relate la vie tragique d’un foyer de jeunes à la dérive, dernier rempart avant la prison. Le public, visiblement conquis, applaudit chaque court ­métrage.

Nous ressortons de cette séance et nous reprenons petit à petit nos esprits, nous nous reconnectons progressivement à la vie urbaine. Il n’est pas tard, nous décidons donc de partir à la découverte de cette ville encore inconnue. Une nouvelle déambulation cette fois pour se fondre dans la masse et s’imprégner de la vie nocturne clermontoise, des images plein la tête...

Vendredi 7 février

Comment le groupe, collectif ressource pour lui même, aide à la formulation de sa propre pensée.

9h, arrivée aux CEMÉA pour une première prise de contact, une présentation du stage et du festival. Premier moment d’expression autour de nos pratiques personnelles concernant le cinéma suivi d’une réflexion autour du spectateur.

13h, première séance collective à la Maison de la Culture autour du film labo, ou en d’autres termes, le film expérimental. Chaque film est une expérience formelle ou narrative. Cette séance
est éprouvante. Six films se succèdent. Six uppercuts nous sont lancés en plein visage.

16h, nous nous retrouvons pour partager l’expérience que nous venons de vivre. Chacun et chacune parle de son ressenti ou encore de ce qui l’a marqué. Petit à petit une réflexion collective se crée.
Les fragments de pensée de chaque personne forme au fil de la discussion un grand ensemble cohérent, riche de points de vue et d’analyses diverses. Certains films, qui pouvaient sembler
moins intéressant que d’autres prennent une autre dimension grâce aux apports qui émanent des différentes subjectivités. L’objectivité es-t­elle un assemblage de multiples subjectivités ? Certainement, car à la sortie de la séance, j’aurais pu aisément choisir le film qui m’avait le plus intéressé, suite à cet échange, c’est quasiment impossible. Choisir, c’est renoncer, choisir c’est se faire violence. Choisissons donc la violence et le malaise de La part de l’ombre d’Olivier Smolders sorti en 2013, documentaire-­fiction de 28 minutes relatant la soi-disant vie du photographe hongrois Oskar Benedek. Artiste proche des mouvements surréalistes qui aurait capturer sur la pellicule les atrocités des expériences nazis pendant la seconde guerre mondiale. Mais à mon sens, ce n’est pas le sujet du film, il est tout autre. Ce qu’il veut nous montrer, c’est ce rapport ambigu entre la réalité et la fiction. Peut-­on croire les images ? L’émotion puissante, le sublime dégoût peuvent­-ils nous faire perdre tout sens critique ? La fiction représente-­t­-elle plus sincèrement la
vérité qu’une image documentaire ? L’art est-­il intimement lié à l’horreur ? Quoi qu’on en pense, on ressort de ce film perturbé, les interrogations fusent. Il ne nous dit pas ce que nous devons penser,
il nous questionne et c’est la grande force de ce film. Nous continuons par un deuxième temps de réflexion autour de la définition du court­métrage.

20h, nouvelle séance autour du programme français. Cinq courts se succèdent. Cette fois, il y a une certaine forme de déception. Un seul film à priori et pour moi sort du lot. C’est le très court film
d’animation Supervénus de Frédéric Doazan sorti en 2013. Mythe de la vénus tranché au scalpel qui revisite satiriquement et avec humour l’évolution des canons de beauté féminin. Pour le reste... le court français est-­il nombriliste et en manque d’inspiration ? J’espère que non car nous n’avons vu qu’une infime partie de la sélection française. Les sujets n’ont rien d’originaux, certains sont entachés de stéréotypes, d’autres ont un réalisateur ayant un besoin énorme de parler d’eux-­mêmes. Peut­-être que le retour sur cette séance prévu le lendemain, permettra d’entrevoir un autre regard.

22h30, c’est tous ensemble que nous allons manger, dernier moment très convivial avant d’aller nous reposer. Les CEMÉA c’est avant tout une grande famille !

Samedi 8 février

Court mais intense !

De retour aux CEMÉA, nous entamons un nouveau temps d’expression autour des films vus la veille. Cette fois, nous commençons à faire émerger des éléments d’analyse filmique et de
critiques. Puis nous partons pour un temps d’Expresso (rencontre entre le public et les professionnel­le­s). Nous assistons à un zapping de réalisateurs/trices car chacun­e ne passe que quelques minutes pour parler de sa création, le public a à peine le temps de poser des questions, et lorsqu’il pose des questions pertinentes, celles-­ci sont sont éludées. Ce temps d’échange est
décevant même s’il amène quelques éléments intéressants pour mieux comprendre certains films et découvrir, un peu, le monde du court-­métrage.

Nous partons ensuite pour notre première séance de films internationaux. Nous voyageons de Singapour à la Grèce, en passant par le Royaume ­Uni et l’Espagne. Tout en restant assis, nous effectuons un beau voyage.

Rituel temps d’échange, premier pas vers une communication. La contrainte qui nous est donnée est de produire un texte, sous la forme de notre choix, en une vingtaine de minutes, sur le ou les films que nous avons vu. Je retranscris ici mots pour mots, sans la retravailler, ma production :

Aujourd’hui, j’ai vu des films cinématographiques !

Qu’est­-ce qu’une histoire cinématographique ? C’est à mon sens, un récit conter à l’aide de deux langages. Le premier est visuel, le second est audio. Un bon film, c’est celui qui va manier habilement ces deux langages. L’un ne prédominant pas sur l’autre. C’est pourquoi That afternoon we went to see the pandas de Ric Aw et Yue Weng Pok et Red Hulk de Asimina Proedrou, tous deux sortis en 2013, sont des bons films. Le premier, nous relate l’histoire d’un couple originaire de Chine, voulant s’installer à Singapour. Histoire banale, scénario plutôt classique. Mais ce qui fait la force de ce film, c’est ce deuxième langage, en arrière plan, filmé en focale courte. Les
personnages ne sont pas les éléments principaux, ils ne sont qu’une partie de l’image. Le décor urbain, omniprésent, écrasant est un poids reposant sur les épaules de ces petites gens qui luttent pour une vie meilleure au milieu d’une fourmilière de béton. L’histoire n’est pas celle d’un couple mais celle d’une ville qui regorge de couples semblables.

Le second film retrace le parcours d’un athénien sombrant peu à peu dans la violence raciale. Cette histoire, plonge intelligemment dans l’intime et ne dénonce pas bêtement mais essaye de comprendre. Les mots peuvent-­ils traiter efficacement de sa solitude, de son manque de confiance en lui, de son rejet de son club de supporters ? Non mais les images le peuvent avec une plus grande efficacité. D’ailleurs, ce personnage ne prononce quasiment aucun mot. Le voir pleurer seul dans sa chambre approche du langage universel. Pas besoin de mots pour représenter les maux et les souffrances internes. Ce film est rempli de scène symboliques sans parole. Son acharnement sur le sac de frapper, la cigarette qu’il a constamment en bouche, son errance urbaine sont plus efficace
que n’importe quel dialogue. Un bon sujet n’est pas suffisant pour faire un bon film alors qu’un bon sujet raconté audio et visuellement a lui tout son intérêt.

Après ce riche temps de réflexion et de partage, nous choisissons librement une séance. Nous sommes un petit groupe à nous rendre à l’une des séances du programme de la fuite dans les idées.

Je reviendrai sur cette séance par la suite.

Nous terminons à 23h45 par une apothéose cinématographique : la troisième séance de clôture du festival. Vingt films sont récompensés. Nous en verrons six. Six œuvres d’art. Nous ressortons de cette séance un peu avant deux heures du matin. Le renouveau du vieux cinéma sclérosé viendra­-t-il du court métrage ? Après cette séance j’ai envie de répondre par l’affirmative mais aussi qu’il arrive également par les séries mais ceci est un tout autre sujet. Je mettrais tout de même l’accent sur Noah, premier film de Patrick Cederberg et Walter Woodman déjà primé au Canada, qui a reçu ici deux prix : le Grand Prix et le Prix du Public dans la catégorie Labo. Premier film et déjà premier grand coup d’éclat. Ce film de fiction d’une quinzaine de minutes, réalisé entièrement sur un écran d’ordinateur et un écran de téléphone est le plus sincère portrait d’une génération, cette génération 2.0 ou encore génération facebook, que j’ai vu jusqu’à maintenant. Il retrace la vie fictive de Noah et de ses méandres amoureuses sur le réseau social. L’information est
omniprésente, plusieurs fenêtres s’ouvrent sur son écran, plusieurs tâches l’occupent, il zappe de pages en pages sans aucun instant de répit. Il est l’homo numericus et ce film est une forme d’évolution du cinéma jamais vu jusqu’à maintenant. Ces films primés seront sûrement accessibles, je n’en parlerai donc pas plus. Pour ce qui est de tous les autres, il y a un lieu fabuleux à Clermont, où je n’ai pas été par manque de temps. C’est la Jetée, bien sur en référence au court­ métrage de Chris Marker, qui accueille les locaux de Sauve qui peut le Court­-métrage, l’association collégiale – donc sans hiérarchie – qui organise ce 36 000 films consultables sur place gratuitement.

Dimanche 9 février

Générique de fin

La nuit est courte. Dernière matinée avant de nous quitter. Dernier retour sur les films que nous avons vu. À propos de la soirée d’hier, voici les mots que j’ai couché sur le papier lors du dernier atelier d’écriture :

Dans une campagne déserte et paisible, un homme est allongé sur les rails d’un train. Les lignes de fuite, portée par cette cicatrice de métal se perdent à l’horizon. Franck, l’homme en question semble attendre la mort. Malheureusement, ou heureusement pour lui, le train sensé arriver en gare de la Ciotat n’arrivera jamais. Seul avec sa voix intérieur – que nous n’entendrons jamais – Franck opère un bouleversement intérieur. Point de rupture dans une vie machinale, moment clé d’une évolution interne. Franck décidera finalement de retourner dans son foyer. La fuite fut brève mais nécessaire. C’est ainsi que commence la série sur le thème de la fuite dans les idées. À travers 8 courts, elle nous dépeint avec violence, humour, ironie, poésie, tristesse et joie des parcours de vie à la croisée des chemins. Elle nous montre qu’à trop rester sédentaire on s’aliène, qu’à l’origine l’humain a besoin de mouvements et qu’aux origines du cinéma et notamment des premières ébauches d’écriture cinématographique (plus particulièrement du montage), il y a la course ­poursuite, la fuite, la fugue. Mais à vouloir aller trop vite on s’écrase contre le mur. Faut­-il avoir un but pour avancer ? La vierge Marie nous parle-­t-­elle à travers la nuque d’un espagnol ? Amos sera­-t­elle le dernier refuge après la fin du monde ? La liberté s’acquiert-­elle dans le mouvement ? La vérité se trouve-­t-­elle dans l’assemblage d’une multitude de courtes idées plutôt que dans une seule et même
longue idée ? Assurément ou peut-­être pas, à vous d’aller chercher vos propres réponses dans ce programme étonnant (FU1) qui nous ouvre une autre voix et qui décape la sclérose de nos certitudes en nous amenant de la fuite dans les idées.

L’heure est au bilan et aux perspectives. Nous revenons sur l’expérience vécue et le chemin parcouru ensemble. Il y a des remises en question, il y a des évolutions. Nous n’accueillerons certainement plus les spectateurs vers une œuvre culturelle de la même façon. Tant aussi bien dans l’approche de l’œuvre que dans l’indispensable dynamique de groupe. Il est temps de se dire au revoir, de retourner chez soi dans sa petite vie. À chaque fois c’est avec une réelle tristesse que je quitte ces regroupements, formidable moment de partage et de rencontres qui laisse des traces indélébiles que l’on a envie de voir se prolonger lors d’une prochaine rencontre.

Alexandre Agnès

Mise en ligne le 11 février 2014
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