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Attention et société

Hubert Guillaud nous propose de revenir la première édition des Assises de l’attention, organisée par un collectif d’associations… réunies pour alerter sur l’omniprésence des écrans, leurs dangers et réfléchir ensemble aux réponses individuelles, collectives et politiques à apporter à ce problème.

Le 1er février se tenait à Paris cette première édition des Assises de l’attention. L’éventail des associations représentées mêlait à la fois des associations volontairement alarmistes (comme le Collectif surexposition eux écrans dont la fondatrice est allée jusqu’à parler très exagérément d’un risque d’autisme virtuel avec l’exposition des plus jeunes aux écrans), des radicaux (comme Écrans Total, opposé à toute forme d’informatisation), à des acteurs engagés dans des formes d’éducation populaire et de responsabilité dans les pratiques (plusieurs associations qui font de la sensibilisation et organisent des défis sans écrans notamment auprès des plus jeunes et dans les écoles, comme l’association Lève les yeux, Lâche ton écran ou Alerte…).

L’intérêt de cette journée était de constater que la question attentionnelle (renouvelée par les alertes du designer Tristan Harris dès 2016) n’est pas complètement retombée avec les réponses techniques des plateformes, à savoir l’offre d’outils de maîtrise du temps d’écran (qui se prolonge désormais d’outils plus incertains, comme ceux censés protéger la « santé mentale » des utilisateurs que l’on retrouve dans les outils de Facebook pour prévenir le suicide ou ceux plus récents de Snapchat, qui visent plus à produire et à pointer vers des ressources qu’à changer la nature addictive ou compulsive des interfaces de leurs produits). Même si les études soulignent que la question de la relation aux écrans est plus complexe qu’une causalité entre l’anxiété et le temps passé sur les écrans, reste que l’inquiétude morale de notre relation aux écrans, reste, pour bien des acteurs confrontés à ces nouvelles problématiques, parents et professeurs notamment, très immédiates. Le nombre de visiteurs aux assises de l’attention montrait bien que la question n’est pas close, loin de là !

Après une matinée de conférence qui s’intéressait aux troubles liés à l’exposition aux écrans, notamment des plus jeunes (à laquelle je n’ai pas assisté), la table ronde de l’après-midi s’intéressait aux enjeux de l’économie de l’attention sur la société, invitant à regarder le rapport de force entre tout un chacun et les puissants acteurs du numérique qui monétisent par-devers nous ce à quoi nous prêtons attention. Comme le rappelait Juliette Rhodes de l’association d’éducation populaire Saisir, en introduction, notre temps d’attention a une valeur marchande qui est monétisée en permanence et qui nourrit une économie et ses acteurs. Ce n’est pas par « faiblesse » qu’on passe du temps sur nos écrans, mais surtout parce que des acteurs, outillés et puissants, le veulent, explique Juliette Rhodes – oubliant, certainement un peu volontairement que cette « faiblesse » répond aussi à des nécessités relationnelles, comme nous le soulignions dans notre étude sur la question attentionnelle. Bien souvent, si nous sommes mis en difficulté, c’est parce que nous ne disposons pas des mêmes outils pour lutter avec ces acteurs. Pour Rhodes, il y a besoin de reposer ce rapport de force pour repositionner ce débat sur un plan politique et distinguer les gagnants des perdants dans l’économie de l’attention. Quels outils de résistance en tant que citoyens, que collectifs, que société organisée pouvons-nous mobiliser. Quels outils de résistance peut-on réclamer, créer, organiser ?

Le capitalisme de la sensation

C’est l’éditeur Cédric Biagini, des éditions de l’Echappée (que nous avions écouté il y a quelques mois expliquer l’importance de la résistance à la technique), qui est intervenu pour reposer ce rapport de force. « La première fois que j’ai pris conscience des enjeux attentionnels en ces termes, c’était en 2008, en découvrant un texte de Nicholas Carr (@roughtype), « Est-ce que Google nous rend stupides ? », où il écrivait : « Une lecture tranquille ou une réflexion lente et concentrée sont bien les dernières choses que ces compagnies désirent. C’est dans leur intérêt commercial de nous distraire. »« . Ce texte pointait le rapport entre distraction et économie et donnera lieu à un livre Internet rend-il bête ? (Robert Laffont, 2011). Il y montre que Google a très tôt compris l’intérêt économique à ce que le trafic en ligne augmente, que ce soit pour mieux affiner ses résultats de recherche, mieux noter les sites, mieux cibler les publicités… Google a façonné nos relations avec les contenus. Comme le soulignait à l’époque Irène Au, responsable de l’expérience utilisateur chez Google, « Notre objectif est de faire entrer et sortir les internautes vraiment vite. Toutes nos décisions de présentation sont fondées sur cette stratégie ». Dès l’origine donc, « le but affiché était que les gens circulent pour les monétiser. Plus l’internaute clic, plus Google fait de profits. »

Le modèle technique du web repose sur la mise en réseau des ordinateurs entre eux via des liens hypertextes, rappelle-t-il. Le modèle économique, qui a assuré le succès de Google, a consisté à monétiser ce modèle technique. La distraction, la déconcentration, est donc à la fois la conséquence d’une transformation technique et au fondement d’un modèle économique. On est donc dans un « business de la distraction ». Cette distraction n’est pas une erreur, un excès ou une externalité… elle est au contraire le cœur du métier de ces acteurs. La création de valeurs se fait par le volume de fréquentation et la captation de l’attention de l’utilisateur. Dans le monde ultra concurrentiel du numérique, chacun cherche à enfermer l’utilisateur dans son univers, comme Google et ses innombrables services gratuits, comme Facebook ou Netflix. Chez Google tout est mis en œuvre pour que les gens puissent passer le plus naturellement possible d’un service Google l’autre. Tout est pensé, via des interfaces et des architectures, pour agir sur les cerveaux. On parle de « captologie », de manipulation, à l’image de la multiplication des notifications qui se déversent dans nos téléphones. « L’enjeu est de « mobiliser » le plus possible l’utilisateur ».

Nous sommes là confrontés à des techniques industrielles qui s’affinent en continu alors que nos environnements se numérisent de plus en plus : divertissement, travail, habitant, corps, éducation… La moindre de nos activités est répertoriée et exploitée. Le smartphone a encore accéléré ces phénomènes par un accompagnement permanent, continu et algorithmique de nos vies. Les Gafam innovent pour mettre en place « l’industrie de la vie », comme le dit le philosophe Éric Sadin, qui se déploie jusqu’au plus profond de notre intimité.

Tout cela s’accompagne d’un discours jusqu’à présent plutôt enthousiaste, constate Cédric Biagini, même si on espère qu’un contre-discours émerge, amorce des prises de conscience. « Le numérique fluidifie, optimise, rationalise, rend le monde plus fonctionnel. Beaucoup de gens ont intégré ces promesses qui sont de l’ordre de la croyance et pensent profiter de ces applications qui leur facilitent la vie, les enrichissent voire intensifient leur existence. » Avec les réseaux sociaux, par exemple, des mécanismes, comme les likes, génèrent des satisfactions immédiates, des formes de reconnaissances directes et instantanées. Sur Instagram on met en scène sa vie, on reçoit des émotions en retour, et ce dans un monde difficile, dur, angoissé, individualisé, où les communautés d’appartenances sont de moins en moins présentes. Ces technologies permettent des formes de micro-reconnaissances, fugaces, éphémères, fugitives… Chaque notification génère une décharge de plaisir. « Le quotidien se trouve, par ces procédés, intensifié. Nous sommes soumis à des pics d’excitation qu’on cherche sans cesse à renouveler, dans les minutes qui suivent, au gré du nombre de fois, considérable, où l’on consulte son téléphone. » Le moindre repas, la moindre visite culturelle… est captée et diffusée. Tous ces événements, tous ces non-événements, auraient moins de saveur sans ces formes de partage. Tant et si bien qu’on peut se demander si un pur acte gratuit, c’est-à-dire un acte qui ne serait ni capté ni diffusé où qui ne recevrait aucun retour, vaille désormais le coup d’être vécu, ironise Biagini. « Comme si, ce qu’on ne pouvait pas capitaliser dans ces infrastructures n’avait pas de sens ». Reste que c’est bien d’une capitalisation dont il s’agit, d’une monétisation de soi. Le mythe de la gratuité, longtemps colporté par le numérique, semble chaque jour un peu plus faux. Sur le web, on valorise tout ce que l’on peut y faire. Tout y est monétisé : liens, réputation, distinction… « Nous sommes confrontés à l’extension d’une économie de la quête de la sensation. Dans ce contexte d’exacerbation de soi, de micro-excitation et de micro-sensations permanentes… le monde non connecté, où l’on continue d’exister pourtant, paraît chaque jour plus fade, plus difficile, plus aride… » notamment du fait que les rapports sociaux y semblent souvent plus difficiles, plus compliqués, comme le souligne la psychologue Sherry Turkle dans Seuls ensemble (L’Echappée, 2015 – voir également Les yeux dans les yeux, Actes Sud, 2020). C’est le constat que dresse également le psychiatre allemand Manfred Spitzer dans Les ravages des écrans (L’Echappée, 2019), qui souligne la difficulté que les gens ont à être seuls. « La nouvelle économie est une économie psychique ». Aux modèles techniques et économiques s’ajoutent des modèles comportementaux qui façonnent de nouveaux agencements sociaux, que Biagini appelle « le capitalisme de la sensation ».

Longtemps, la satisfaction personnelle a résidé dans la sécurité à long terme, la prudence, la recherche d’un état stable. Aujourd’hui, le bonheur tient moins à la satisfaction des besoins qu’à la recherche d’une augmentation des sensations, des « expériences » – un terme dont il faudrait d’ailleurs étudier l’émergence avec le numérique, souligne l’éditeur… Au final, on trouve de plus en plus de gens instables, distraits, impatients, irritables… Les personnalités tyranniques semblent les nouveaux modèles de personnalités : ils recherchent l’intensité, la sensation, l’expérience… mais semblent avoir de moins en moins de temps pour développer une vie intérieure, pour prendre du temps pour s’épanouir et même pour vivre avec les autres. Comme le pointait le philosophe Jean-Michel Besnier dans L’homme simplifié (Fayard, 2012), l’intelligence des machines semble avoir triomphé de l’intelligence des humains qui racontent, ressentent, argumentent, dialoguent et ironisent. Nous fonctionnons comme des automates, réduits à être de simples émetteurs et récepteurs d’informations. Nous sommes de plus en plus définis par nos capacités à communiquer, à accéder aux réseaux et à être les maillons d’un système communicationnel. « C’est là qu’a lieu notre simplification anthropologique ! »

Vers un droit du public à entendre ?

Suite à ces constats, le professeur en littérature Yves Citton – auteur notamment de Pour une écologie de l’attention (Seuil, 2014) -, se veut modeste. Il ne souhaite qu’ajouter quelques notes de bas de page, quelques inflexions à ces propos, insiste-t-il, en concédant au public de professeurs et de spécialistes de l’enfance venus l’écouter qu’il connaît mieux le terrain que lui, notamment ce qu’il se passe aujourd’hui dans les classes et auprès des plus jeunes. « Vous avez raison de dénoncer les effets pervers des écrans… Mais on ne peut en penser les effets sans les remettre en contexte, c’est-à-dire sans évoquer la pression ubiquitaire à l’œuvre, qui aligne toutes nos intentions sur le profit financier, comme l’a très bien souligné Cédric Biagini. »

Citton évoque le livre de la spécialiste de l’histoire et de l’esthétique du cinéma, Mireille Berton (@mireille_berton), qui dans Le corps nerveux des spectateurs (L’âge d’homme, 2015), étudie ce qui s’est dit du cinéma à sa naissance, et dresse la liste des maux dont on accusait le cinéma à savoir qu’il rendait les gens fous, qu’il poussait les jeunes au crime, les femmes à trahir leurs maris… L’enjeu n’est pas de dénoncer par là les réactions réactionnaires qui s’expriment quand naît un nouveau média, mais de souligner que l’émergence de nouveaux médias donne toujours lieu à une phase d’émerveillement, puis à une phase de démonisation, avant d’accomplir une forme d’accommodement, qui n’est pas toujours un apaisement heureux.

Si on dénonce les écrans parfois avec raison, il faut s’intéresser également plus largement à leurs environnements. Si on regarde ce qu’il se passe dans la salle de classe avec les écrans, il faut aussi regarder ce qu’il se passe dans la salle de classe sans les écrans. Il faut interroger les modèles implicites de notre rapport à l’attention, comme le rôle des autorités, comme le professeur, ou le fait qu’un bon élève soit toujours « celui qui est concentré ». Le risque, souligne Yves Citton, est d’individualiser le problème du rapport aux écrans comme le font les États-Unis en traitant massivement les enfants hyperactifs par des médicaments. Le risque est de vouloir soigner ce qui se passe entre l’écran et l’élève sans regarder l’environnement scolaire ou social dans son ensemble.

S’il y a bien un business de la distraction, il nous faut néanmoins faire attention à une simplification, prévient encore le professeur, qui consiste à opposer une bonne attention à la distraction, qui elle serait un mal. « Or, parfois, c’est très bien d’être distrait ou de se distraire ! Cela fait aussi partie de la bonne attention. La concentration, ce préjugé concentrationnaire, qui assimile une forme attentionnelle à un bon comportement doit nous poser question. Si la capacité à se concentrer est précieuse, ne jetons pas les mérites de la distraction avec l’eau du bain ! »

Enfin, si on parle beaucoup des écrans et du système nerveux des enfants, ce qui est nouveau, c’est ce qui se passe derrière les écrans et derrière les cerveaux… Ce sont les informations qui sont servies sur des serveurs lointains et qui vont modifier les informations que l’on voit. Il est plus que jamais nécessaire de regarder ce qu’il se passe derrière les écrans.

Si le problème n’est pas que les écrans, mais le capitalisme, alors il est urgent de surtaxer le cancer publicitaire. Si notre attention individuelle comme collective est un bien commun, alors nous avons besoin d’imaginer quelque chose pour le protéger, comme de cultiver de bonnes conditions pour notre attention, comme de permettre d’émanciper l’orientation attentionnelle des personnes. Dans son livre, Networked Press Freedom (MIT Press, 2018), Mike Ananny promeut un droit du public à entendre. En démocratie, on se préoccupe beaucoup de liberté d’expression, mais on n’interroge pas les possibilités d’écouter certaines choses ni d’instaurer un droit du public à entendre. Enfin, pour nous aider à nous défendre, il va nous falloir dépasser les pratiques personnelles, les semaines sans écrans et les règlements d’entreprises, pour commencer à entrevoir des leviers juridiques pour défendre l’attention, conclut Yves Citton avec un rare art de la transition !

Pour un droit à l’attention ?

Pour la juriste et professeur de droit Célia Zolynski (@czolynski, que nous avions écouté en 2018, lors de la conférence Ethics by Design), il est nécessaire de définir notre attention d’un point de vue juridique. Il existe plusieurs approches de la question attentionnelle : pour certains, c’est un attribut cognitif individuel donné ou construit par la technique, pour d’autres, c’est un attribut relationnel avec une fonction sociale. Mais ces deux approches sont complémentaires. Être en capacité de faire attention à soi et aux autres, a assuré notre développement et notre survie et assure le fondement de nos interactions sociales pour faire société et démocratie. Si la question de l’attention n’est pas nouvelle, son approche a été renouvelée par la prise en compte de son aspect économique, à l’image de Facebook dont le modèle économique oriente des mécaniques d’interactions toujours plus fortes. Ces boucles attentionnelles doivent bien sûr susciter le débat, car elles modifient nos rapports à nous-mêmes, aux autres, aux médias et à la démocratie. La complexification de nos rapports sociaux (et leur mécanisation) a fait de l’attention une ressource rare.

Avec ses collègues Marylou Le Roy et François Levin, Célia Zolynski a publié un « Playdoyer pour un droit à la protection de l’attention ». « Nous sommes partis du constat des effets délétères de cette captation, de cette manipulation. Face à ces effets, les opérateurs, très critiqués, ont eu une réaction technique : ils ont mis en place des mécanismes d’autorégulation comme la mesure du temps d’écran… Mais ces mécanismes ne sont pas suffisants. Ils ne visent pas la bonne cible : la durée, la surexposition sont des mesures essentielles, mais ce n’est pas la seule problématique. Ces mécanismes ne prennent pas en compte la qualité des contenus ni les risques d’enfermement des utilisateurs. Autre problème : l’illusion de contrôle qui oublie la question du consentement, de liberté et d’autonomie de l’individu. Enfin, ces outils demeurent très individuels (chacun son temps d’écran) alors qu’il y a des enjeux collectifs et démocratiques. Enfin, ces outils renforcent le rôle des plateformes au risque qu’elles deviennent les seules gardiennes de l’attention qu’elles exploitent. »

Que nous propose pour l’instant la réglementation ? Peu de choses, reconnaît Célia Zolynski. Une proposition de loi sur la surexposition aux écrans, une autre pour interdire les dispositifs publicitaires numériques dans les sanitaires des établissements recevant du public et les lieux de travail. Un droit à la déconnexion des travailleurs (peu mis en pratique dans le Code du travail). Aux États-Unis, on a vu des initiatives pour encadrer la captation de données de mineurs sur les plateformes vidéos (avec une condamnation de YouTube à 170 millions de dollars d’amende)… On trouve également des dispositions pour des publics sensibles ou à risque.

Dans son cahier prospectif sur « La Forme des choix », la Cnil a regardé comment le Réglement général sur la protection des données (RGPD) pourrait aider à réguler les mécanismes de conception attentionnelle (via le consentement éclairé ou la proportionnalité…). Elle a d’ailleurs en janvier délivré une amende à Google à l’encontre de ses choix ergonomiques qui ne permettent pas un consentement suffisamment éclairé.

Dans leur plaidoyer, rappelle la juriste, l’enjeu était de formaliser des premières propositions pour consacrer un nouveau droit « à » et « de » la protection de l’attention, en dépassant l’approche sanitaire pour rattacher ce sujet à une approche plus globale, en redonnant du pouvoir d’agir à l’utilisateur, en imaginant de nouvelles obligations pour les opérateurs et en les incitant à mener des analyses de risques face au traitement attentionnel.

L’enjeu consistait notamment à s’intéresser aux interfaces, et pas seulement aux données, contenus et plateformes, où des modalités de régulation existent déjà pour le législateur. Si la protection de l’attention existe de façon ponctuelle et indirecte : notamment à l’intention des mineurs et dans les milieux professionnels, avec le droit à la déconnexion, l’attention n’est pas protégée de manière globale, soulignent les auteurs. L’enjeu pourtant pourrait être de convoquer le RGPD pour établir des premiers jalons : la transparence, le consentement éclairé, le privacy by design… Autre solution, utiliser le droit à la consommation pour assurer la protection des consommateurs afin d’éviter que l’ergonomie des services numériques ne crée un déséquilibre significatif à leur détriment en biaisant leur consentement. Sur le modèle du droit à la protection des données personnelles, les auteurs proposent de reconnaître un droit à la protection de l’attention qui passerait par une obligation d’information des utilisateurs des dispositifs que les plateformes déploient, via une signalétique dédiée de type legal design, tels que proposés par Margaret Hagan dans Law by Design. Ils recommandent également d’imaginer des modalités pour offrir aux individus des alternatives à la curation des contenus qui leurs sont proposées, notamment en permettant de personnaliser les paramètres des services utilisés ainsi qu’un droit à l’interopérabilité des systèmes (que défend notamment la Quadrature du Net). Enfin, les auteurs proposent de renforcer le droit à la protection de l’attention des individus en situation de vulnérabilité, notamment les mineurs et les travailleurs des plateformes. L’article insiste également sur la responsabilisation des opérateurs : avec des obligations d’information sur la finalité de la captation attentionnelle et surtout des finalités déterminées, explicites, légitimes et minimisées, et souligne le besoin d’une fonction qui assumerait ces responsabilités dans les entreprises, comme le délégué à protection de l’attention ainsi que des possibilités d’audit des fonctionnalités attentionnelles des services que nous proposions. Enfin, les auteurs insistent sur le besoin de mettre en place des instruments de politiques publiques, sur le modèle du droit de l’audiovisuel et des politiques culturelles et éducatives, comme celles sur l’encadrement de la publicité.

Plus que de sanctions, expose encore Célia Zolynski en répondant au flot de questions, l’enjeu pour l’instant semble surtout de permettre aux utilisateurs d’être mieux en maîtrise de leur attention, notamment en leur permettant d’accéder et de modifier les critères des flux d’informations auxquels ils sont soumis.

Beaucoup de questions portent sur la nécessité ou non d’un régulateur dédié. Si les choses sont plus balisées au niveau des médias traditionnels, via notamment le rôle du CSA, la régulation des contenus sur l’internet est encore trop souvent laissée aux mains des producteurs et des plateformes, sans grande efficacité, comme le montrent les problèmes récurrents sur YouTube Kids. On renvoie trop souvent ces questions à de la régulation individuelle ou à de l’autorégulation des acteurs, comme la signalétique des jeux vidéos, mais sans grande efficacité sur les pratiques… Au final, les instances de protection de l’enfance sont souvent assez démunies pour agir.

Pour Célia Zolynski, l’enjeu est certainement de penser la convergence des régulations, notamment parce qu’aujourd’hui trop d’autorités sont en jeu. Il est nécessaire de repenser les mécanismes, en imaginant une régulation qui soit plus transversale, à la fois technique, économique et institutionnelle. La signalétique ne suffit pas et limiter les accès aux mineurs par exemple, pose la question vertigineuse du contrôle de l’âge. La question attentionnelle nous demande de trouver de nouveaux moyens pour articuler protection et liberté, sans défaire l’une au détriment de l’autre.

Hubert Guillaud

http://www.internetactu.net/

Mise en ligne le 11 décembre 2020
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