Etre transporté par un tourbillon magique dans un univers où " les poupées prennent vie " et où " les moustiques étudient les mathématiques ", n’est-ce pas tentant ? Certes, l’introduction de cette Récré des poètes (le titre aurait pu être plus pertinent !) a un ton un peu trop grandiloquent, et les promesses faites sont un peu exagérées. Mais quand c’est une fusée qui vous propose de vous transporter dans cet univers où " les mots deviennent musique ", quel enfant peut résister ? Espérons qu’ils seront nombreux à ne pas regretter le voyage.
L’écran d’accueil nous offre un décor spatial assez réussi, avec un tas d’engins à cliquer. La fusée nous permettra de découvrir différents mondes poétiques, classés par niveaux de difficulté (le cédérom a l’ambition de s’adresser aux enfants de 5 à 10 ans) et identifiables par une tonalité colorée différente, vert, bleu ou rouge. Première constatation d’évidence : la diversité est au rendez-vous. Qu’on en juge. Pour les plus petits, dans " La maison enchantée ", Obadia avec J’ai trempé mon doigt dans la confiture ou l’Ogre de Maurice Carème. Au niveau moyen, " La féerie de l’enfance " avec entre autres, Le ballet à la lune de Musset ou Quand tu ne vois pas le ciel d’Alain Bousquet. Dans les " fables et animaux fabuleux ", on trouve du La Fontaine, bien sûr, mais aussi Le Chat de Beaudelaire et Les Papillons de Gérard de Nerval., sans oublier Le Corbeau et le goupil de Marie de France. Les animaux et l’humour sont d’ailleurs souvent mobilisés, à côté d’autres thèmes comme l’enfance, la liberté, l’aventure, le rêve, le bonheur ou la morale. Tous les styles sont présents, toutes les époques aussi et l’index rassemblant tous les contenus est bien utile. Bref une grande richesse (les titres cités ici ne sont qu’un échantillon réduit des textes proposés), avec des classiques et des surprises. Les enseignants en particulier devraient y trouver leur bonheur.
Pour chaque poème, un ensemble important de fonctionnalités nous est proposé. Car bien sûr, il ne s’agit pas seulement de pouvoir lire ou écouter le texte. Et les images ou les sons qui l’accompagnent ne doivent pas rester de simples illustrations. Il s’agit aussi de s’approprier le poème, de le manipuler ou du moins d’agir sur certain de ses éléments, bref de le vivre. Projet ambitieux, et si l’on fait la fine bouche, on trouvera aisément qu’il n’est pas toujours réussi. Mais dans l’ensemble les animations sont agréables à suivre, le plus souvent bien adaptées au texte et à l’âge de l’enfant à qui on s’adresse. Très variées dans l’utilisation des bruitages et d’un accompagnement musical discret mais pertinent, elles peuvent même surprendre et les enfants aimeront sûrement avoir à cliquer sur un élément du décor pour faire progresser l’affichage et la diction du texte, procédé courant, mais qui n’étant ici jamais utilisé systématiquement, retrouve une force qu’on aurait pu croire émoussée. A côté de la possibilité d’impression et d’affichage plein écran, deux boutons donnent accès à deux pages bien utiles. Un petit lexique d’une part, qui définit quelques mots supposés pouvoir poser problème au jeune lecteur. Une courte biographie de l’auteur du poème, d’autre part, qui permettra au moins de le situer dans le temps. Enfin, un jeu, ou du moins ce qui est présenté comme tel, puisque dans le multimédia il faut toujours jouer, alors qu’on a affaire plus précisément à des exercices, ce qui d’ailleurs n’enlève rien à leur attrait, puisque là aussi la variété garantie de ne pas sombrer dans la répétition ennuyeuse.
Ces jeux sont aussi accessibles séparément, dans l’espace qui leur est réservé, ce qui pose un peu problème puisqu’ils renvoient systématiquement au poème qui leur sert de support et qu’il faut donc au moins écouter une fois avant d’essayer de suivre la consigne donnée, ce que certains ne prendront peut-être pas toujours le temps de faire. Selon la présentation du cédérom, ces activités sont classées en deux catégories. Les jeux dits d’imprégnation proposent une familiarisation avec les procédés poétiques, rimes, rythme, images... Ils prennent souvent la forme d’exercices à trou ou de simple question à choix multiples, mais aussi de puzzles ou d’activités d’association. Certaines questions sont précédées d’explications ou définitions claires, indispensables à la réalisation de la tâche. Si cela peut constituer un intéressant apport de connaissances (par exemple sur les différentes catégories de rimes), il n’en reste pas moins que l’activité se réduit dans ce cas à une simple application, ce qui n’est pas une situation des plus créatives.
Pour la création, l’enfant va disposer d’un atelier où il pourra écrire des poèmes et surtout les mettre en page et les illustrer grâce à de nombreux outils de dessins, de coloriage, d’importation d’images et d’arrière-plans. Il pourra ainsi donner de multiples formes aux mots ou aux vers, les étirer, les renverser, les triturer à volonté, sans oublier la possibilité de choisir leur couleur. Le résultat sera bien sûr enregistrable, imprimable et peut être envoyé en direction du site web associé au cédérom (www.recre-des-poetes.com ).
Ce site est tout aussi vivant et animé que le cédérom, mais bien sûr, cela a un prix. Pour qui ne dispose pas d’une connexion à haut débit, les pages sont souvent plutôt longues à charger. Mais les patients seront récompensés. Car si nous retrouvons ici la même veine d’inspiration que le cédérom, le site présente pas mal d’activités nouvelles et ne fait donc nullement double usage avec le produit hors-ligne. Notons d’abord qu’il remplit parfaitement sa fonction de traitement de l’actualité. Les événements liés à la poésie y sont présentés et des jeux permettant de gagner des livres sont organisés en conséquence. Et puis les animations de poèmes proposées sont originales et parfaitement réussies, à l’image du Queneau (Pour un art poétique, un régal de jeu avec les lettres) ou le Poisson d’avril de Boris Vian, petit clic très séduisant. L’atelier de création propose de créer des mots ou des vers musicaux grâce à une astucieuse association de lettres et de notes. Enfin les jeux eux-mêmes sont renouvelés. On peut ainsi faire un quizz sur la poésie (le système de comptage des points est tout à fait original), un pendu demande de trouver des noms de poètes et la réalisation du poème dadaïste en suivant Tzara en surprendra plus d’un. Il ne reste plus qu’à alimenter régulièrement ce très beau site en poèmes originaux, envoyés par le plus d’enfants possibles, pour qu’on ait véritablement à la disposition de tous un outil qui devrait permettre non seulement de multiplier le nombre de poètes en herbe, mais aussi permettre au plus grand nombre d’entrer avec ravissement dans l’univers multiforme de la poésie.
Jean-Pierre Carrier