Quelle est la différence entre un cédérom consacré aux arts plastiques destiné spécifiquement aux enfants et ceux s’adressant traditionnellement à un public indéterminé c’est-à-dire plus couramment aux adultes ? La présentation bien sûr ! Ce qui nous renvoie à l’utilisation des possibilités offertes par les technologies numériques, déjà systématiquement mises en œuvre lorsqu’il s’agit de présenter l’œuvre de peintres par exemple ou de nous offrir une visite virtuelle d’un musée. Lorsque l’on s’adresse aux enfants, la nécessité de ne pas ennuyer, de stimuler l’intérêt, nécessité d’autant plus forte qu’on aura affaire à des œuvres classiques, oblige à n’en pas douter, à redoubler d’inventivité dans ce domaine. C’est ce qu’ont parfaitement compris les concepteurs de ce Louvre raconté aux enfants, une grande réussite du multimédia au service de la découverte de l’art.
Comme pour le programme destiné aux aînés, deux entrées sont disponibles à partir de la page d’accueil : l’histoire du musée et les œuvres elles-mêmes, ou plutôt un choix bien sûr restreint par rapport à la richesse du musée, mais assez diversifié pour en donner une vue dans le fond assez représentative. Si les grands chefs-d’œuvre, bien sûr « incontournables », en font nécessairement partie, La Joconde en tête, ils ne font pas l’objet d’un traitement particulier ce qui n’incitera pas l’enfant à ne pas regarder le reste. À leur côté bien des œuvres moins connues sont tout aussi intéressantes et permettent des découvertes heureuses, ce qui après tout s’inscrit parfaitement dans le projet lui-même.
En ce qui concerne les dispositifs de présentation des œuvres (c’est la partie la plus importante du programme, quantitativement mais aussi au niveau de la recherche d’éléments adaptés aux enfants de 5 à 9 ans à qui on s’adresse), notons d’abord qu’un certain nombre d’outils, qui ont fait leur preuve dans toute présentation multimédia des œuvres d’art, trouvent tout naturellement leur place ici et il serait en effet incompréhensible de ne pas y avoir recours. L’enfant aura donc à sa disposition une loupe pour mieux observer les détails du tableau et une échelle pour appréhender sa taille réelle. De plus, un globe donne accès à une carte permettant d’identifier le pays d’origine de l’œuvre affichée, information qui est à n’en pas douter tout aussi utile aux adultes qu’aux enfants.
Le système d’accès aux œuvres, qui conditionne en grande partie la navigation dans l’ensemble du cédérom, est elle aussi assez traditionnelle, avec une dimension pédagogique assez discrète, ce qui n’enlève rien d’ailleurs à sa pertinence. Une frise chronologique permet ainsi de choisir d’afficher les œuvres d’une époque donnée et un classement thématique ouvre une autre logique de regroupements en utilisant des catégories considérées comme faisant partie des centres d’intérêt traditionnels des enfants : animaux, rois et reines, mythes et légendes ou encore coutumes. Dans les deux cas, le tableau est présenté de façon identique, avec un commentaire sobre, proposant une piste d’approche de l’œuvre non technique et surtout attirant l’attention de l’enfant sur un détail ou une particularité mais sans jamais restreindre le rapport à l’œuvre à une signification unique. Les informations plus fouillées, concernant l’artiste en particulier, sont disponibles dans des fiches relativement courtes mais précises et qui peuvent être oralisée à la demande ce qui est bien pratique pour les plus petits. Les termes qui pourraient poser des problèmes de compréhension sont définis dans un lien hypertexte, autre initiative judicieuse. Bref, tout est fait pour favoriser la découverte personnelle des œuvres plutôt que l’interprétation systématique. L’enfant est certes guidé, mais sa liberté de spectateur est scrupuleusement respectée et les pistes qui lui sont proposées n’ont jamais un caractère de contrainte obligatoire. Cette orientation pédagogique est ainsi parfaitement adéquate avec la nature même de la navigation multimédia qui repose sur la possibilité de choix personnels fréquents.
L’aspect cédérom pour enfant, ou ludo-éducatif comme il est devenu courant de dire, est concrétisé par la présence de jeux et d’animations. Côté jeux, on trouve des puzzles, des tableaux à compléter, des figures à réaliser en reliant des points, la recherche d’un détail et celle d’une modification introduite dans l’œuvre. Rien de bien original dans l’ensemble et l’enfant utilisateur habituel de produits multimédias ne sera guère surpris, ce qui risque même de l’ennuyer un peu. La difficulté au niveau de la réalisation est en fait double. Comment d’une part allier la dimension ludique et le contenu culturel ? Et d’autre part un produit pour enfants appelle un ciblage précis au niveau de l’âge, ce qui est une limite commerciale évidente. Ces deux difficultés ne sont pas vraiment traitées ici. Le cédérom s’adresse aux enfants de 5 à 9 ans, ce qui ne correspond en rien à une réalité enfantine, ni ludique ni culturelle. Quant au premier point, on peut se demander si le choix des jeux n’est pas fait d’abord selon un critère de démarquage par rapport aux jeux vidéo. Certes les courses de bolides ou les mitraillages systématiques de monstres extra terrestres ne sont sûrement pas le seul moyen de plaire aux enfants. Mais bien d’autres possibilités sont offertes par le multimédia aujourd’hui qui ne sont en rien contradictoires avec une dimension culturelle et dont certains produits un peu austères pourraient se les approprier avec profit.
Les animations proposées sont de deux sortes. Des « graffiti » d’abord, simples coups de crayon sur un tableau pour en souligner un aspect visuel, lignes de force ou détail. C’est rapide, précis et comme il n’y a pas de commentaire, on ne pourra pas faire le reproche d’un trop grand didactisme. Des animations proprement dites ensuite, réalisées par PEP, qui met son grain de sel dans certains tableaux, clins d’œil facétieux qui visent à désacraliser les œuvres d’œuvres d’art et qui peuvent avoir pour effet de les rendre plus accessibles aux enfants. Tous les tableaux présentés ne sont pas victimes de ce « vandalisme virtuel » ce qui préserve, et c’était bien sûr indispensable, la possibilité d’une découverte plus traditionnelle et plus sérieuse ! On n’aime ou on n’aime pas, mais cette façon tout à fait actuelle de donner vie à l’art correspond certainement à une nécessité : ne pas réserver la découverte des œuvres à une élite favorisée.
Arrêtons-nous enfin sur un dernier point, qui ajoute beaucoup de charme à ce cédérom : l’introduction sur certains tableaux de commentaires d’enfants. Enregistrées sur le vif, lors de visites du musée (c’est du moins comme cela qu’on peut les percevoir), ces remarques spontanées et pleines de fraîcheur donnent sa véritable signification pédagogique au cédérom : montrer que la visite d’un musée peut être l’occasion de nombreuses découvertes et donc donner beaucoup de plaisir.
Jean Pierre Carrier