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L’OPÉRATION « JEUNE TÉLÉSPECTATEUR ACTIF »
JP Carrier

JTA a longtemps été considéré comme une référence obligée par tous ceux qui abordent le problème de la relation de l’enfant à la télévision, que ce soit dans un contexte scolaire ou extra-scolaire. Cité dans les rapports officiels comme dans la presse d’information, dans les recherches comme dans les ouvrages de vulgarisation, JTA a constitué une véritable vitrine. Les enseignements qui ont pu alors en être tirés sont-ils encore aujourd’hui d’actualité ?

Présentation de JTA.

Bien qu’elles soient bien connues par ailleurs, il n’est pas inutile de rappeler les caractéristiques de l’opération JTA.

JTA fut lancé en 1979 sur l’initiative du Fond d’Intervention Culturel (FIC), organisme interministériel auquel participe les ministères de l’Éducation Nationale, de la Culture, de l’Agriculture, de la Famille et du Temps Libre.

Un dispositif de coordination et de suivi fut mis sur pied. Au niveau national fut créé un Comité d’Orientation (CO) composé des représentants des ministères concernés auxquels s’adjoindront des personnels de l’INA et de FR3, et une équipe de pilotage de sept membres, représentants du CNDP, de l’INRP, du FIC, de la Jeunesse et des Sports et de l’INA. Le Comité d’Orientation était chargé de veiller au respect des objectifs. L’Équipe de Pilotage avait un rôle plus concret, puisqu’elle était chargée de toutes les décisions concernant l’opération sur le terrain (mise en place administrative et financière, conception et diffusion des outils et documents pédagogiques, encadrement et formation des formateurs). Au niveau local, un Comité d’Orientation départemental regroupait les représentants du recteur et des autres instances ministérielles, auxquels furent associées les Caisses d’Allocation familiale et les associations de parents d’élèves et périscolaires. Enfin, une équipe locale de réalisation de 4 à 8 formateurs était chargée du suivi des intervenants sur le terrain et gérait les moyens.

Le lancement proprement dit de l’action avec les jeunes fut précédée d’une formation de tous les membres des équipes locales de réalisation de dix jours, formation assurée par l’équipe nationale elle-même. Ces formateurs assurèrent ensuite la formation des enseignants et animateurs volontaires pour participer activement à l’opération. Ainsi fut constitué un véritable réseau dans lequel le principe de démultiplication de la formation était effectivement mis en oeuvre.

Chaque terrain reçut un équipement matériel minimum composé de téléviseurs et de magnétoscopes. Le matériel nécessaire à des activités de production en vidéo devait lui, être loué.

Huit terrains expérimentaux furent désignés pour la première année :

- Dordogne (support administratif : CDDP de Périgueux) ;

- Lozère (CDDP de Mende) ;

- Poitou (CRDP de Poitiers) ;

- Haute-Normandie (Institut Régional de l’Image et du Son de Rouen) ;

- Tarn (École Normale d’Albi) ;

- Béarn (CRDP de Pau) ;

- Maine-et-Loire (CDDP d’Angers) ;

- Ville de Sèvres (CIEP et Association Manivel).

Pour la deuxième année de l’opération, en 1980, trois autres terrains furent ajoutés aux précédants :

- Pas-de-Calais (Maison pour tous de Saint-Omer) ;

- Vaucluse (Maison des Jeunes et de la Culture d’Avignon) ;

- Toulouse (Office culturel municipal).

Les chiffres cités concernants la participation à JTA sont les suivants :

- pour les formateurs : 1000 participants, les deux tiers étant des enseignants et un tiers des animateurs. Pour les enseignants il s’agit de 150 instituteurs, 350 professeurs du second degré et 50 enseignants du privé.

- pour les formés, il est fait état de 25 000 jeunes, allant de quatre à dix-huit ans.

Ces données matérielles et descriptives permettent déjà de souligner ce qui sera souvent considéré comme un des points forts de JTA : son origine interministérielle. Dès l’origine est conférée à l’opération une dimension plurielle, à la fois dans son assise institutionnelle et dans sa portée sociale et culturelle. JTA n’est pas une opération de l’éducation nationale. Elle n’est pas faite pour les enseignants seuls. Au contraire, tout est fait dans son organisation pour associer les enseignants à ces partenaires, essentiels en ce qui concerne le vécu de téléspectateur des enfants, que sont les familles d’abord et ensuite tous les autres intervenants dans le champ des loisirs. Même si les enseignants sont les plus nombreux sur le terrain, la variété des autres intervenants et la multiplicité des structures d’appui ont grandement contribué à donner à l’opération une portée allant bien au-delà des seuls enjeux pédagogiques. À cela doit être ajouté le fait que dès l’origine également, le groupe national de pilotage associe des personnes d’horizons différents, tous spécialistes des médias et de l’enfance, mais à des titres différents. Enfin, l’opération bénéficia grandement de l’apport des professionnels des médias, ce qui en fait une sorte de prototype en matière de partenariat école-télévision.

Le cadre théorique de référence.

A. L’analyse de la télévision.

Quel discours tient-on sur la télévision dans JTA ? De quelles informations et de quelles connaissances les différents intervenants peuvent-ils disposer ? La télévision fait-elle l’objet d’une analyse spécifique et quelles sont les données théoriques auxquelles il est fait appel ?

Pour le savoir, nous disposons de l’outil qui a servi dans JTA aux différents niveaux de formation, les Dossiers du Petit Écran, diffusé par le CNDP en 1980. Le premier tome de cet ouvrage est intitulé "Éléments d’information" et se présente comme une synthèse des données facilement accessibles à tous les enseignants, animateurs et parents qui interviennent ensuite auprès des jeunes. Comment ces derniers ont-ils réellement utilisé ces données ? Nous ne pouvons le savoir, mais l’analyse de leur contenu peut nous indiquer les grandes orientations de la réflexion qui est engagée sur la télévision. La présentation de l’ouvrage est explicite sur ce point. "Chaque chapitre vise à présenter de manière concise et lisible quelques données de base nécessaires à une réflexion sur la télévision d’aujourd’hui telle qu’elle est produite et consommée en France." Ouvrage de vulgarisation donc, mais entendu surtout dans une dimension pragmatique. Il ne s’agit pas de tout dire sur la télévision, il ne s’agit pas non plus d’entrer dans les débats ouverts ou les hypothèses non confirmées. Il s’agit de procurer des bases concrètes, si possible incontestables, sur lesquelles puissent s’élaborer des pratiques de formation. Mais par là, ce qui nous est fourni, c’est en quelque sorte le mode d’emploi de ces pratiques, l’ensemble des concepts et des notions qui sont censées leur donner un sens global et désigner des points d’application possibles.

Le sommaire de ce dossier est le suivant.

Chapitre 1 : le signal vidéo.

Chapitre 2 : les modèles d’analyse de la communication de masse.

Chapitre 3 : l’organisation du système de communication télévisée.

Chapitre 4 : la programmation : son cadre institutionnel et réglementaire.

Chapitre 5 : les techniques de mesure de l’audience de la radio-télévision.

Chapitre 6 : les publics de la télévision.

Chapitre 7 : les programmes de la télévision.

Chapitre 8 : la production des programmes télévisés.

Chapitre 9 : la publicité télévisée.

Chapitre 10 : les informations télévisées.

Un premier survol de cette liste de chapitres nous donne quelques indications sur l’organisation interne des connaissances qui sont proposées et ainsi sur la progression que pourra suivre celui qui les utilise dans sa pratique.

Le point de départ est technique. L’image de télévision a une origine spécifique, l’électronique, qu’il est nécessaire de distinguer de l’image photographique et cinématographique, sans doute plus familières en 1980 aux enseignants en particulier. Notons que cet apport technique est relativement succinct. Il n’est sans doute pas indispensable que les jeunes qui participeront à JTA puisent mémoriser les différences entre le système de balayage des postes de télévision français, anglais ou américain. Par contre il est plus important de s’appuyer sur des connaissances techniques pour distinguer les différentes sources d’images qui aboutissent sur l’écran et la façon dont elles y aboutissent. Pouvoir distinguer le direct et le différé ou tous les intermédiaires possibles, envisager les conséquences des évolutions techniques (apparition des satellites de télévision directe, présentés comme l’avenir de la télévision hertzienne), sont sans doute des connaissances de base, accessibles à tous, et directement réinvestissables dans la formation.

La deuxième dimension de la connaissance proposée de la télévision est sociologique. Ici c’est un vaste panorama des études essentiellement américaines sur ce qu’il était alors convenu d’appeler "la communication de masse" qui nous est proposé. Sont ainsi successivement cités les ouvrages de Riesman et Mac Luhan, les modèles explicatifs comme celui de Lasswell, les travaux sur les effets (Katz ou Lassarsfeld). Mais l’essentiel de ce chapitre réside dans l’introduction de la notion de médiation. Reprise de l’ouvrage de Pierre Schaeffer sur les machines à communiquer, elle peut être considérée comme la notion centrale de l’analyse de la télévision que propose JTA, en tous cas celle qui doit permettre une véritable opérationalisation de ses objectifs de formation. C’est pourquoi il est important de s’arrêter sur cette notion.

La notion de médiation est d’abord utilisée pour critiquer le modèle classique "Emetteur-Message-Récepteur" dans la mesure où il en reste à une vision mécanique de la communication. D’un côté un émetteur actif, de l’autre un récepteur passif. Entre les deux, un tuyau qui ne sert qu’à transmettre. La référence aux machines à communiquer permet d’introduire un troisième terme, dont l’analyse nécessite de faire intervenir une multiplicité de niveaux : technique, économique, sociologique, politique. L’idée de médiation implique donc le rejet de toute vision monolithique de la communication.

En second lieu, et de façon plus constructive, il s’agit de définir dans le cas précis de la télévision les fonctions du médiateur. "Celui-ci a pour fonction d’une part de choisir parmi toutes les informations celle qu’il veut communiquer et produire dans la forme d’expression audiovisuelle, d’autre part d’en organiser la diffusion à destination du public qu’il veut atteindre." Ces fonctions de production et de diffusion sont illustrées sur un exemple précis, l’émission célèbre, Les Dossiers du Petit Écran. Ces définitions peuvent alors servir dans des actions de formation à montrer quel est le pouvoir réel de ceux qui font la télévision, qu’ils soient visibles sur l’écran comme le présentateur ou non comme le réalisateur. Chacun doit tenir compte d’un nombre important de contraintes qui découlent de la nature même de la communication télévisée. C’est pourquoi il importe de définir les différents types de métiers qui interviennent dans le nécessaire travail d’équipe que constitue la mise au point d’une émission de télévision. Mais qui dit pouvoir, même limité par des contraintes techniques et des enjeux économiques, dit aussi possibilité d’influence sur le public récepteur. D’outil de connaissance, la médiation peut ainsi très vite devenir "arme", en particulier dans la perspective de formation du jeune téléspectateur. Dans JTA, la connaissance doit toujours avoir une portée pratique. Le téléspectateur actif, "averti" parce qu’il sait, c’est celui qui sera prémuni contre les risques inhérents à la communication médiatisée et ne sera donc pas dupe des dérives qu’elle peut contenir.

Mais la médiation ainsi entendue, même lorsqu’elle permet d’introduire la notion de dispositif, définie comme "l’ensemble des éléments qui structurent la fonction de médiation dans le processus de communication télévisuel" , reste cantonnée à ce qui est visible, c’est-à-dire directement accessible pour le téléspectateur à partir de ce qu’il appréhende sur l’écran. Pour JTA, l’étude de la communication télévisée ne doit pas en rester à ce niveau. Il faut aussi aller voir derrière, en coulisse, où travaillent d’autres médiateurs, producteurs, programmateurs, "milieux autorisés". Le texte qualifie ces médiateurs, entre guillemets mais sans préciser s’il s’agit d’une citation d’auteur, de "plus puissants et donc plus discrets". On n’est pas loin de désigner un rôle occulte de ceux qui tirent les ficelles dans l’ombre. Une telle conception de la télévision, qui voudrait qu’elle soit un simple instrument des pouvoirs, a cependant quelque chose d’un peu naïf. Elle fait de la télévision une réalité parfaitement transparente, entièrement organisée dans le seul souci de « manipulation », une source de pouvoir qui n’a pas de pouvoir en elle-même. Prise en ce sens, la théorie de la médiation dont fait usage JTA peut bien fonder sa perspective d’intervention critique auprès des jeunes téléspectateurs comme action de prévention idéologique. Elle ne permet pas de faire l’analyse théorique des mécanismes de pouvoirs propre au média télévision.

Prise dans sa globalité, la notion de médiation concrétise le credo et en même temps le leitmotiv théorique de JTA : la nécessité de prendre en compte chaque fois qu’il s’agit de penser la télévision et d’intervenir à son propos en direction des jeunes, de prendre en compte donc les trois niveaux qui la constituent : ce qui est visible sur l’écran, ce qui s’organise derrière l’écran, ce qui se passe devant l’écran.

Ce triptyque permet d’organiser les connaissances sur la télévision qui doivent constituer la caisse à outil de tout formateur JTA.

Concernant le "derrière" l’écran, sont abordés successivement :

- une description des institutions, avec le rappel des principales dates de l’histoire de la télévision française, une présentation des différentes sociétés issues de l’éclatement de l’ORTF en 1974, les structures de financement du service public et quelques exemples étrangers ;

- la fonction de programmation, ce qui permet d’une part de définir la politique des programmes telle qu’elle peut se lire en particulier à travers les cahiers des charges des sociétés de télévision, et d’autre part d’analyser « les processus d’élaboration des grilles de programme » dont il s’agit de montrer les étapes concrètes pour chaque société et les différents facteurs qui d’une façon générale sont ou doivent être pris en compte.

Devant l’écran, sont étudiés :

- les techniques de mesure d’audience, en précisant pourquoi les sondages existent et à quoi ils sont utilisés ;

- les différents publics de la télévision, à partir de données essentiellement quantitatives, ce qui donne un bon aperçu des méthodes employées à cette époque par les recherches en la matière.

Enfin, pour revenir sur l’écran, sont proposés :

- une étude des programmes à partir de leur classement par genre, ce qui permet une présentation comparative de l’offre et une mise en perspective de la réception « effective » et de la réception « potentielle » ;

- les différentes étapes de production d’une émission, depuis la première idée jusqu’à la diffusion à l’antenne ;

- une approche du phénomène publicitaire à la télévision ;

- et de l’information télévisée, essentiellement consacrée d’ailleurs à une étude du journal télévisé.

Ce rapide survol des contenus de ce Dossier du Petit Écran, peut nous permettre de préciser l’orientation de formation qui est celle de JTA. L’enseignant, (l’animateur ou le parent) qui ouvre cet ouvrage pour acquérir une connaissance de la télévision indispensable à son action éducative peut en effet en tirer plusieurs enseignements.

D’abord il constatera que la télévision est une réalité complexe, nécessitant pour être abordée la mise en oeuvre conjoint de plusieurs points de vue, technique, sociologique, économique, politique. Sa tâche de formation pourra alors lui sembler particulièrement ardue. D’autant plus que des connaissances renvoyant à la maîtrise des langages de l’image et des matériels audiovisuels ne sont pas directement abordées ici. Leur prise en compte est pourtant également nécessaire, notamment dès que sont envisagées des activités d’expression en particulier en vidéo. Toujours est-il que le formateur JTA ne doit pas être le spécialiste d’un point de vue unique sur la télévision. Il en serait plutôt un spécialiste de la généralité, documenté sur toutes les études effectuées dans des domaines différents et dont il s’agit d’opérer la synthèse.

En second lieu, il pourra se forger la conviction que son action éducative en direction du jeune téléspectateur aura une portée globale, qu’elle ne restera pas purement et simplement de l’ordre des connaissances, qu’elle aura donc une signification sociale et culturelle importante. Mettre à jour les mécanismes invisibles de la télévision, c’est en effet se situer au niveau du fonctionnement de la société elle-même, c’est pratiquer, même si le terme n’est pas employé, une analyse « idéologique ». En tous cas se met à jour dans cette perspective, la dimension « militante » de l’intervenant JTA, militantisme qui au début des années 80 ne peut pas être neutre politiquement.

Généraliste de la télévision, intervenant idéologique, le formateur JTA n’est donc pas d’abord défini comme étant un enseignant. S’il met en place des apprentissages, ce sera toujours dans la mesure où ils peuvent intervenir dans la réalisation d’objectifs concernant la personne de l’enfant, ce qu’il ressent et imagine tout autant que ce qu’il connaît, ce qu’il vit tout autant que ce qu’il sait.

La visée ultime de l’approche de la télévision que propose JTA semble ainsi concerner plutôt l’enfant téléspectateur que la télévision elle-même. Pourtant, en dehors de deux pages consacrées aux mesures d’audience concernant le jeune public, celui-ci est pratiquement absent de ce premier tome des DPE. Analyser comment JTA appréhende la réalité de ce jeune téléspectateur qui tient tant de place dans son propos demande d’utiliser d’autres sources.

B. L’enfant téléspectateur.

L’approche que JTA propose de la réalité de l’enfant téléspectateur est contenue dans un ouvrage qui , sans être explicitement estampillés du label officiel JTA, n’en est pas moins directement impliqué dans le mouvement d’idées qui lui a donné naissance ou qui l’a accompagné. D’ailleurs leurs auteurs ont tous été plus ou moins impliqués dans l’opération. Il s’agit de l’ouvrage intitulé L’enfant devant la télévision. . Dans la mesure où on s’adresse aux enseignants, deux problèmes apparaissent très vite récurrents concernant les pratiques télévisuelles des jeunes. Le premier concerne l’interprétation des données quantitatives disponibles. Le second, la qualité des programmes spécifiquement destinées aux enfants.

L’objectif fondamental de l’ouvrage que nous citons, et c’est en cela qu’il constitue en quelque sorte le point de départ de JTA, est de dénoncer comme trop réductrice la vision dominante de l’enfant-téléspectateur. Mettant l’accent sur l’importance des conditions familiales de réception, il s’agit de montrer que la prétendue passivité des téléspectateurs devant l’écran cache la diversité d’une situation dans laquelle le plaisir est rarement absent. A partir des chiffres alors disponibles, plusieurs constats peuvent être dressés. D’abord les moyennes les plus souvent citées cachent en fait des variations dans les durées d’écoute très importantes. D’autre part, au-delà des variations saisonnières, des variables socio-démographiques (comme le niveau d’instruction de la mère) peuvent devenir explicatives des différences. Enfin, il faut toujours se méfier des chiffres « ronds » comme les fameux 1000 heures de télévision annuelle qui ne correspondent qu’à une pratique d’effet d’annonce visant à frapper les esprits. Depuis JTA, le développement des études d’audience et l’importance grandissante dans le fonctionnement de la télévision de ce qu’il est habituel d’appeler "l’audimat", ont sans doute rendu plus complexe encore l’approche quantitative des pratiques télévisuelles, des enfants comme des adultes. Mais aujourd’hui comme hier, pour les enseignants, comme pour les parents, le rapport de l’enfant à la télévision se situe souvent dans un contexte passionnel. Les prémunir contre les excès de "la sociologie spontanée", comme le faisaient déjà les auteurs de L’enfant devant la télévision reste sans doute encore une exigence qui n’a pas perdu sa valeur.

Le deuxième problème qui est clairement posé dès l’époque de JTA et qui connaîtra bien des prises de position souvent purement politiques, concerne le contenu des programmes télévisés que peuvent regarder les enfants, et en particulier ceux qui leur sont tout spécialement destinés, les programmes "jeunesse". Examinant " ce que la télévision propose aux enfants", les auteurs de L’enfant devant la télévision traitent successivement de deux émissions phares, qui deviendront très vite symptomatiques de deux types de télévision : une télévision qui peut être éducative tout en restant distractive, une télévision qui n’étant que distractive ne produit que des effets négatifs chez l’enfant qui la regarde. Nous serions tentés de voir dans la systématicité de cette opposition la lutte de deux syndromes constitutifs de toute position analytique concernant la télévision pour enfants, le syndrome "Sesame Street" d’un côté, opposé au syndrome "Goldorak".

Le projet de Sesame Street est, rappelons-le, étranger à tout contexte scolaire et ne s’inscrit nullement dans une perspective d’introduction de la télévision à l’école. Produite et réalisée par le Children’s television Workshop (CTW), c’est-à-dire financée par des fonds publics, cette émission américaine qui depuis a fait le tour du monde, est à l’origine destinée aux enfants de moins de six ans, très peu scolarisés et de milieu culturellement défavorisés. Il s’agit d’essayer de combler les manques culturels de ce public, dans le but de lui donner le plus de chances possibles de réussite dans sa scolarité future. Donc une télévision éducative à forte portée compensatrice. Ce que le milieu familial entre autres ne peut fournir à ces enfants, la télévision va le leur offrir sous la forme qui a fait son succès auprès d’eux, des séquences courtes au rythme soutenu, avec des chansons, des slogans maintes fois répétés et surtout des marionnettes dont l’humour est la première caractéristique. Quant aux contenus, ils essaient de couvrir ce qui pourrait être considéré comme un programme d’apprentissages premiers, indispensables pour l’ensemble de la scolarité mais aussi de toute vie sociale. "Outre l’apprentissage de certaines notions : les lettres de l’alphabet et les chiffres, les règles élémentaires de calcul arithmétique et des rudiments de raisonnement, des éléments d’hygiène et d’instruction civique, sans oublier le vocabulaire de base, ce programme s’efforce d’amener l’enfant à une plus grande prise de conscience de son corps et de son environnement."

Les objectifs de ce projet particulièrement ambitieux ont-ils été atteins ? Les évaluations réalisées sont pour le moins ambiguës. D’un côté il semble incontestable que les enfants qui ont suivi le programme avec assiduité ont réellement fait des acquisitions portant sur les notions explicitement en jeu. De l’autre, les enquêtes réalisées doivent bien reconnaître que ces acquisitions restent inégalement réparties chez les enfants. "C’était les enfants de milieux culturellement les mieux pourvus qui bénéficiaient le plus des avantages de la série." Autrement dit, ceux qui en avaient le moins besoin. La télévision se voit ainsi, même à l’occasion d’un programme dont la pertinence n’est pas fondamentalement contestée dans sa formulation initiale, suspectée de creuser le fossé entre ceux qui ont tout pour réussir à l’école et les autres.

Reste que Sesame Street marque une étape importante dans la relation de la télévision au projet éducatif et même scolaire. Son succès auprès des enfants fut important, prouvant qu’un projet éducatif pouvait trouver un public, en adoptant une forme qui sache leur plaire. La voix de la "distraction éducative" était ouverte. La télévision française connaîtra dans ce domaine des succès tout aussi incontestables, entre autres avec les séries Il était une fois... d’Albert Barillé.

Avec Goldorak, nous sommes dans un tout autre registre. Avec ce dessin animé japonais dont la première apparition sur les écrans français date de 1978, plus question de perspective éducative. Son succès commercial considérable et son impact indiscutable dans l’imaginaire de l’enfant, furent les points de départ d’une multitude de prises de positions rendant les dessins animés japonais responsables de la dégradation accélérée de la qualité de la télévision pour enfants. Les analyses font alors souvent place aux jugements de valeurs. « On ne peut suivre le sens du récit, tant la violence des images en masque le fil narratif. Tout éclate d’un bord à l’autre de l’écran avec une vitesse folle qui agresse le téléspectateur, le laisse pantois et lui procure un très vif plaisir. Ce plaisir puise ses sources dans la psychologie profonde de l’enfant : il se laisse aller à ses pulsions, sans avoir besoin de mettre en marche ses facultés intellectuelles. Comme dans une sorte de transe, il se livre à des décharges impulsives successives, hors de toute notion d’espace, de temps et de réalité. » Voici donc pointé un des enjeux de la formation du jeune téléspectateur : séparer le bon grain de l’ivraie dans la télévision pour enfants, comme pour la télévision grand public en général d’ailleurs.

Traiter de la télévision pour enfants ne peut négliger ce type d’opposition. Lorsqu’il s’agit de proposer l’introduction de la télévision à l’école, peut-on affirmer purement et simplement que toutes les émissions se valent ? Toutes les émissions peuvent-elles également faire l’objet d’une activité pédagogique ? La nature de l’émission elle-même n’a-t-elle pas une influence déterminante sur la pratique pédagogique dans laquelle elle va s’inscrire. Le syndrome Goldorak peut-il aussi facilement être ignoré ? Et que dire des émissions comme Hélène et les Garçons qui sont devenues de véritables "phénomène de société" ?

Evaluation.

Un des mérites reconnus de JTA fut aussi d’avoir suscité deux études apportants des renseignements concrets sur les positions respectives des enseignants et des jeunes eux-mêmes sur la perspective de développer un programme à grande échelle de formation du téléspectateur. La première concerne l’ensemble des représentations que les instituteurs se font de la télévision. La seconde, conçue comme une évaluation de JTA, examine en quoi les jeunes qui ont participé à l’opération peuvent être considérés comme de « nouveaux téléspectateurs ».

A. Les instituteurs et la télévision.

La première de ces études vise « une meilleure connaissance de la façon dont (la télévision) était reçue, appréciée, par les enseignants qui ont la responsabilité éducative des enfants de l’âge de l’école élémentaire, de ces enfants qui comptent parmi les téléspectateurs les plus assidus. »

Que pensent les instituteurs de la télévision ? Mais aussi comment la vivent-ils, personnellement et professionnellement ? Et comment envisagent-ils le rapport des enfants à la télévision, que ce soit au niveau du vécu individuel ou dans le cadre scolaire ? Tels sont les points de départ de ce travail, ouvertement orienté vers l’estimation, à partir d’un travail sur les représentations des acteurs concernés, des chances de réussite d’une innovation du type de celle qu’incarne JTA.

La méthode employée est celle des enquêtes par questionnaire, enquête effectuée ici auprès d’un échantillon représentatif de l’ensemble des instituteurs et institutrices français. La représentativité de l’échantillon choisi est garantie par la prise en compte de l’âge, du sexe et de l’origine géographique de la population concernée. Il est composé en définitive de 1 764 personnes. D’autre part, l’enquête se voulant approfondie, le questionnaire élaboré comporte un nombre important d’items, la multiplicité des réponses permettant d’aborder des domaines variés et d’établir des recoupements apportant nuances et précisions. Notons enfin, pour clore cette rapide présentation méthodologique, que ce travail a bénéficié d’un accueil particulièrement favorable de la part du public sondé, celui-ci apparaissant très vite concerné par tout ce qui touche au phénomène télévision, et en particulier par la place de plus en plus importante qu’elle ne cesse d’occuper dans la vie des enfants.

Sans rentrer dans le détail des résultats obtenus dans cette enquête et des commentaires des auteurs, nous voudrions dresser un tableau synthétique des représentations des instituteurs vis-à-vis de la télévision qui s’en dégage. Certes, les instituteurs ne sont qu’une partie du corps enseignant. Mais leur choix comme terrain d’étude montre bien qu’il est important d’aborder le problème de l’introduction à l’école dès lle premier niveau de scolarisation. La question est alors d’importance : sont-ils déjà prêts en 1982 à acceuillir la télévision dans leur pratiques pédagogiques ?

L’Enquête de 1982 sur les instituteurs et la télévision esquisse la description du climat dans lequel a vu le jour JTA. Cette description est particulièrement contrastée. Elle est faite en effet d’éléments qu’on peut considérer, du point de vue de l’introduction de la télévision dans les pratiques pédagogiques , comme plutôt positifs. Auxquels s’ajoutent des éléments qui ne peuvent que constituer des freins par rapport à un tel projet. Pour reprendre le langage que nous avons déjà rencontré dans l’analyse des rapports officiels, nous dirons qu’il est fait d’ombres et de lumières. Qu’existent donc à la fois des obstacles importants, au niveau des mentalités cette fois, pour que la télévision soit simplement considérée comme « digne » de rentrer à l’école ; et aussi des raisons d’espérer, les enseignants n’apparaissant pas aussi systématiquement qu’on aurait pu le penser, ni surtout définitivement, opposés à cette entrée.

Le premier point positif réside dans l’appréciation globalement favorable des instituteurs vis-à-vis de la télévision dans notre civilisation. Dès 1982 apparaissent donc des éléments qui indiquent que les enseignants, ne sont pas les « téléphobes » qu’on a souvent vu en eux, à l’instar de l’image traditionnellement donnée des intellectuels. Il y a là un élément particulièrement important dans la relation de l’école et de la télévision. La vision traditionnelle d’une concurrence, voire d’une hostilité ouverte, entre les deux institutions, ne correspondrait donc pas toujours à ce que pensent vraiment les intéressés, du moins à ce qu’ils déclarent.

Cependant ce premier aspect, positif en soi, doit être immédiatement nuancé par une analyse plus fine de la représentation que les instituteurs se font de la télévision. Quelle télévision regardent-ils réellement ? Et surtout quel type d’émissions déclarent-ils préférer ou attendent-ils d’une télévision qui saurait répondre entièrement à leur attente ? Pour les instituteurs en 1982, la télévision « est avant tout un instrument de diffusion, sa fonction créative étant fortement minimisée. » Le cinéma reste ainsi beaucoup plus fortement valorisée que les oeuvres de fictions proprement télévisuelles. Cependant, pour importante qu’elle soit , la demande des instituteurs en fiction passe au second plan par rapport à ces autres genres télévisuels que sont l’information et le documentaire. Les auteurs de l’enquête soulignent à ce propos que la télévision souhaitée par les instituteurs est une télévision où domine le « sérieux ». Même lorsqu’ elle est considérée comme un divertissement, celui-ci doit rester « culturel ». Les jeux sont un des genres les moins cités lorsqu’il s’agit de définir la « bonne télévision de l’avenir » et pourtant Les chiffres et les lettres sont très regardés. De même pour quelques séries comme Les cinq dernières minutes ou Vidock ; bien que séries et feuilletons soient de tous les genres ceux qui ont la plus mauvaise image chez les instituteurs. Les auteurs ont sans doute raison de noter dans cette perspective la « distorsion très grande entre ce que les instituteurs déclarent attendre de la télévision et ce qu’ils regardent effectivement ».

Se dessine ainsi une première approche de ce que les instituteurs semblent considérer comme « éducatif » à la télévision. S’informer, apprendre, constitue un des motifs forts que les instituteurs ont de regarder la télévision. Il y a là sans doute un point qui peut paraître comme une lointaine anticipation d’un des aspects du projet de TÉLÉSCOPE. Les chaînes se multipliant, l’offre télévisuelle devenant de plus en plus grande, il peut paraître opportun de lancer un organe d’information qui se donnera pour mission de mieux renseigner les enseignants sur cette télévision qu’ils appellent de leurs voeux mais qu’ils ne regardent pas toujours, même lorsqu’elle existe.

La deuxième partie de l’enquête sur les instituteurs et la télévision considère le rapport qu’ils entretiennent avec elle en tant qu’éducateurs. Ce qui va nous renseigner à la fois sur les usages réels qu’ils font des moyens audiovisuels dans leur ensemble et sur les idées qu’ils expriment concernant les rapports de l’enfant et de l’école à la télévision.

L’analyse de l’usage pédagogique des moyens audiovisuels et de la télévision en particulier nécessite bien sûr d’avoir une indication aussi précise que possible de l’équipement des écoles en matériels. Les chiffres disponibles en 1982 remontent à 1978. A cette époque il est fait état de 58,3% des instituteurs qui déclarent avoir un téléviseur disponible dans leur classe.

Être équipé d’un téléviseur ne signifie pas automatiquement utiliser la télévision en classe. Il est donc nécessaire d’essayer de déterminer quelles sont les pratiques réelles des instituteurs. Les données recueillies se situent à trois niveaux : l’utilisation des moyens audiovisuels autres que la télévision ; l’utilisation de la télévision tout publics ; l’utilisation de la télévision scolaire.

En 1982, en dehors de JTA, la seule télévision qu’il est question de « regarder » en classe est la télévision scolaire. Les questions portant sur la télévision grand public concerne la façon dont le fait que les élèves la regardent chez eux est pris en compte, ou ignoré, par l’école. Cette remarque montre bien qu’à partir de JTA , c’est bien un changement profond dans le rapport entre la télévision et l’école qui est en train de s’opérer. Dorénavant, c’est l’introduction de la télévision entendue comme télévision grand public qui devient un enjeu d’innovation pédagogique.

A l’époque de JTA en tous cas, près de la moitié des instituteurs, 49,9% exactement, déclarent ne pas regarder la télévision scolaire en classe. Et lorsqu’on opère un classement des différents moyens audiovisuels selon leur taux d’utilisation, la télévision scolaire arrive au quatrième rang, après l’électrophone, le projecteur diapo et le magnétophone, mais avant la radio scolaire, le projecteur cinéma, l’appareil photo et la caméra. Cet ordre montre bien que la réception est bien plus répandue dans les classes que les activités de production d’images. Ceci sans doute d’abord pour des raisons matérielles, ce qui n’exclut pas de penser qu’il y a peut-être aussi des raisons pédagogiques au relatif désintérêt des enseignants par rapport aux activités de production d’images par les enfants. Nous retrouverons ce problème tout au long de notre examen des pratiques pédagogiques décrites ou proposées dans les nombreuses publications à orientations pratiques qui, depuis JTA jusqu’à TÉLÉSCOPE, fournissent sous forme d’exemples concrets des aides à l’utilisation de la télévision à l’école. Notons simplement pour l’instant que d’après l’enquête de 1982, ce sont les jeunes instituteurs qui utilisent le plus les moyens de production d’images. La différence entre les instituteurs en fonction de l’âge et de l’ancienneté dans le métier fera l’objet de beaucoup d’attention de la part des auteurs dans la mesure où elle se retrouve sur beaucoup d’autres points. Le fait que les jeunes instituteurs ne se représentent pas la télévision de la même façon que leurs aînés ne peut manquer d’ouvrir une réflexion sur les chances de réussite du développement de l’utilisation pédagogique de la télévision. Nous reviendrons sur ce point.

En ce qui concerne l’utilisation de la télévision scolaire les données recueillies constituent un tableau particulièrement précis. Ainsi nous apprenons que la télévision scolaire est plus utilisée par les plus âgés, dans les grandes classes et par les instituteurs urbains. Lorsqu’elle est utilisée, c’est essentiellement comme élément de motivation par rapport à d’autres activités scolaires. Lorsqu’elle n’est pas utilisée, lors même que la possibilité matérielle existe, c’est essentiellement parce qu’il apparaît difficile d’en intégrer les émissions dans la progression de la classe, mais aussi, dans une moindre mesure, parce qu’elle infère une attitude de passivité de la part des élèves. Notons enfin, que les instituteurs interrogés ne font pratiquement pas référence à l’étude avec les élèves du mode d’expression spécifique de la télévision, et de la perspective de « formation critique du jeune téléspectateur. » L’opération JTA n’étant sans doute pas encore très connue sur le terrain, ceci indique bien l’importance du chemin qu’il reste à parcourir pour que ses orientations principales soient acceptées et reprises, au moins en idées, par une majorité d’enseignants. Pour les instituteurs de 1982, la télévision apparaît comme le média qui devra dans l’avenir être prioritairement utilisé en classe. Mais il n’est pas dit alors s’il s’agit d’abord, ou exclusivement, de la télévision scolaire, ni surtout comment est envisagée cette utilisation.

En ce qui concerne la télévision grand public, nous l’avons déjà dit, il ne s’agit pas à proprement parler d’examiner son utilisation directe en classe. Cette pratique est encore quasiment inédite en 1982. Une première explication de cet état de fait est sans doute matérielle. Le développement des magnétoscopes apportera l’outil facilitateur qui fait encore défaut. Mais il y a plus. A l’école n’est utilisée que la télévision scolaire, c’est-à-dire une télévision prévue pour un usage pédagogique. La télévision grand public elle, n’a pas acquis droit de cité à l’école, parce qu’elle fait partie de ce monde extra-scolaire qui est par définition étranger au monde des apprentissages. Autrement dit, la tradition scolaire a fortement ancré dans l’esprit des enseignants l’idée selon laquelle les élèves ne peuvent apprendre à l’école qu’à partir de situations aménagées pour cela. Les apprentissages scolaires ne sont pas, par définition, des apprentissages fortuits, dus au hasard. Ils sont toujours le résultat d’une volonté pédagogique, d’un projet d’apprentissage. L’entrée à l’école de la télévision grand public ne pourra se faire qu’à partir du moment où les enseignants commenceront à envisager la possibilité de construire des situations d’apprentissages l’intégrant dans une démarche d’apprentissage. C’est ce processus que nous suivons pas à pas, à partir de l’expérience de JTA. Mais JTA n’est pas encore totalement centré sur ce type de problématique. Nous l’avons déjà plusieurs fois souligné, sa démarche concerne d’abord le vécu de l’enfant et son rapport avec la télévision. Or dans ce vécu, la présence des apprentissages est toujours seconde. La télévision pour l’enfant, c’est d’abord du divertissement, de l’imaginaire et du plaisir. Et ce n’est qu’à partir de cette position « spectaculaire » que peut être envisagé son rapport à la connaissance L’entrée de la télévision à l’école ne repose donc pas en priorité sur un enjeu télévisuel, qui consisterait à attendre que la télévision puisse enfin être déclarée apte aux apprentissages scolaires. Elle dépend beaucoup plus, croyons-nous, d’un enjeu pédagogique. Il s’agirait non pas de transformer la télévision, mais de transformer les pratiques pédagogiques. C’est pourquoi l’examen des exemples qui peuvent être proposés ici ou là de telle ou telle situation proposant un apprentissage à partir de la télévision est pour nous fondamental. D’autant plus que c’est bien cette perspective que nous retrouverons dans TÉLÉSCOPE, sous la forme des « pistes » d’utilisation des émissions en classe.

Si la télévision n’est pas encore directement utilisée dans les pratiques d’apprentissage, il n’en reste pas moins qu’elle est déjà présente à l’école dans le vécu de téléspectateur des enfants. C’est cette affirmation qui donne sens aux questions qui sont posées aux instituteurs et aux réponses obtenues. 88% des instituteurs laissent les enfants s’exprimer sur la télévision. 79% suscitent des discussions sur elle. 63,7% peuvent aller jusqu’à suggérer à leurs élèves de regarder une émission particulière. Ces données permettent aux auteurs de conclure « qu’un lien commence à s’établir entre les pratiques scolaires (des instituteurs) et le monde extra-scolaire de la télévision. » Ce qui ne veut pourtant pas dire que ce soit ainsi toute la télévision qui se voit ainsi conférée un premier droit de cité à l’école Limitée à l’évocation verbale, cette « utilisation » de la télévision concerne essentiellement les documentaires et les informations. « Ce qui est discuté en classe ne déborde guère du cadre des préoccupations habituelles de l’école ». On ne peut mieux dire que le rapport de la télévision aux apprentissages scolaires pose fondamentalement le problème de la modification des pratiques pédagogiques.

C’est ce problème qui fait l’objet des dernières questions de l’enquête. Comment les instituteurs perçoivent-ils en effet les effets de la télévision sur l’enfant et sur l’école ? Envisagent-ils la possibilité d’apports spécifiques de la télévision à la pédagogie ?

En ce qui concerne l’impact de la télévision sur les enfants, les opinions favorables à la télévision sont dominantes. Même si un instituteur sur quatre pense que la télévision déforme la vision que les enfants ont du monde, ce qui est majoritaire, c’est l’idée d’une complémentarité entre la télévision et leur expérience du monde. Par contre, lorsqu’il s’agit de prendre en compte les apports informatifs de la télévision, les avis sont partagés. Les opinions négatives dominent légèrement : il reste peu de chose de tout ce que diffuse la télévision. Ce n’est qu’à propos de la possibilité d’utilisation de ces informations dans les apprentissages que les avis sont radicalement hostiles. Plus de 80% des instituteurs pensent que « les informations apportées par la télévision sont trop dispersées pour pouvoir être utilisées par les enfants selon un rythme normal d’apprentissage ». Les auteurs insistent ici sur l’opposition qui existe aux yeux des enseignants entre le système scolaire, fondé sur la notion de programme et de progression, et la télévision qui ne peut apporter des connaissances que dans un ordre dispersé, imprévisible, fortuit. Bref, on en reste à l’idée d’une « construction linéaire » du savoir. On voit bien encore sur ce point comment la perspective d’une utilisation pédagogique de la télévision implique une mutation profonde des conceptions que les enseignants peuvent se faire de l’apprentissage.

C’est bien ce que signifie aussi, bien qu’a contrario, la réponse à la dernière question de l’enquête. Cette question, d’ordre très général, porte sur l’influence que peut avoir le développement de la télévision sur l’école. Plus de la moitié des instituteurs pensent que la télévision ne modifie pas sensiblement le rôle de l’école. Ce qui amène les auteurs de l’étude à se demander s’il s’agit là d’un constat ou d’un souhait. « Souhait de voir l’école demeurer le lieu privilégié où se transmet le savoir. Souhait de voir maintenue sa position de monopole dans les processus d’acculturation. (...) En niant, contre toute attente, l’influence de la télévision sur l’école, on marque ainsi sa volonté de préserver l’institution scolaire contre une présence extérieure perçue comme une agression. »

Les acteurs de l’introduction de la télévision à l’école, dans le cadre de JTA ou son prolongement, pouvaient-ils être encouragés ou au contraire démobilisés par la lecture des résultats d’une telle enquête ? Les points positifs sont nombreux, les réserves également. « Les portes de l’école ne sont pas délibérément closes. » Reste que le problème de son utilisation pédagogique ne fait que commencer à se poser.

B. Les nouveaux téléspectateurs

La deuxième étude publiée dans le cadre de JTA concerne ces « nouveaux téléspectateurs » que l’opération appelle de ses voeux et prétend contribuer à faire émerger. Son titre même et ses objectifs explicites nous situent d’emblée dans ce que nous avons appelé la perspective interventionniste de JTA. S’il s’agit de repérer les changements intervenus chez les jeunes à l’occasion de la formation JTA, c’est bien parce qu’au départ, des comportements, des attitudes et des représentations vis-à-vis de la télévision ont été désignés comme devant être changés. Nous l’avons dit, JTA à son lancement, est tributaire du contexte de son époque. Malgré les efforts de clarification de la problématique du rapport de l’enfant et de la télévision mis en oeuvre par exemple dans les Dossiers du petit écran, le jeune téléspectateur est toujours plus ou moins compris comme passif devant le petit écran. Cette passivité, et l’on n’est pas loin d’ajouter les effets négatifs de la télévision sur l’enfant, est le point de départ de toute formation, sa raison d’être même. Si la télévision n’avait pas une influence négative dans la vie et dans les pensées de l’enfant, à quoi bon faire JTA ?

L’étude sur les Nouveaux Téléspectateurs est directement reliée à JTA puisqu’elle se présente comme une évaluation des résultats de l’opération. Confiée par le Comité d’orientation du FIC au Service des études et de la recherche du ministère de la culture, elle a été menée d’octobre 1980 à mai 1981. Par une méthode d’entretiens non-directifs (mais cependant centrés sur la télévision et des aspects particuliers de JTA) menés individuellement ou en petits groupes, il s’agit de fournir des observations concrètes sur leurs comportements de téléspectateurs et sur leurs représentations concernant la télévision en général et les activités JTA en particulier.

L’enquête s’est déroulée en trois phases. La première, en octobre et novembre 80, se situe avant l’engagement proprement dit de JTA sur le terrain. Elle propose des entretiens libres aux jeunes des sites de JTA retenus, d’une durée moyenne de trois heures en plusieurs séances. Les informations recueillies sont complétées par des rencontres avec les enseignants ou les animateurs et les parents. Il est alors question de leurs attentes précises par rapport à JTA. La deuxième phase, en janvier et février 81, centre les entretiens sur le vécu des séances JTA. Il s’agit alors de faire s’exprimer « à chaud » les premières réactions vis-à-vis de l’opération. Enfin, la dernière phase est consacrée à l’étude proprement dite des changements repérables comme étant dus à JTA. Elle comporte également des entretiens avec les jeunes, mais aussi avec les enseignants et les parents.

Nous pouvons donc disposer par là d’un tableau précis de l’ensemble des éléments constitutifs de la relation des jeunes à la télévision.

Nous retiendrons essentiellement deux domaines d’observation, le vécu proprement dit de l’enfant téléspectateur et les représentations de la télévision dans son rapport au savoir et aux apprentissages.

Le tableau des pratiques télévisuelles des jeunes de 9 à 18 ans qui nous est fourni est sans surprise, du moins pour le lecteur de 1995. Les conditions de réception familiales sont placées au premier rang des facteurs qui doivent être mis en évidence. La place du téléviseur dans le domicile, la position adoptée pour le regarder, les conditions de choix des programmes et les conflits intra-familiaux qu’ils occasionnent, les activités qui peuvent ou non être entreprises tout en les suivant, deviennent ainsi des données riches de sens et très utiles, nous le verrons, pour lancer une formation. Cette centration sur les pratiques les plus banales dans le contexte familial, véritable carte d’identité de JTA, constitue le premier moyen d’échapper aux préjugés courants sur le rapport enfant-télévision. Face à la fascination que peut opérer le pouvoir des chiffres, il est urgent de prendre en compte enfin des données qualitatives. Regarder de plus près ce qui se passe réellement devant le téléviseur, constitue ainsi la première démarche de l’éducation aux médias naissante. Mais cela n’est possible que dans la mesure où la formation du jeune téléspectateur a une dimension globale, c’est-à-dire n’est pas réduite au seul domaine des apprentissages scolaires. Dès le moment par contre où la perspective d’utilisation de la télévision à l’école se fera plus pédagogique, alors la prise en compte du vécu de téléspectateur des élèves devra passer au second plan, pour être de plus en plus négligée au fur et à mesure du développement d’une perspective disciplinaire et didactique.

Il est à noter d’autre part, que cette partie de l’enquête se situe implicitement dans une orientation sociologique qui tend à faire de la pratique télévisuelle le révélateur de l’ensemble de la relation familiale. Les comportements parentaux vis-à-vis de la télévision, les limitations où les interdictions qu’ils imposent, plus ou moins bien comprises et acceptées par les jeunes car plus ou moins bien expliquées et justifiées par les parents, les punitions dont la télévision fait l’objet, sont significatifs des modèles éducatifs dominants dans les familles. Il y a là un champ de recherche qui n’a pas semble-t-il été développé jusqu’au bout de ses possibilités.

Qu’en est-il maintenant de la façon dont les jeunes engagés dans JTA se représentent leur propre relation au savoir et comment situent—il la télévision dans cette relation ?

La conception dominante des jeunes interrogés est ouvertement traditionnelle. Apprendre c’est essentiellement mémoriser, ce qui revient à privilégier le par coeur et le verbal. « Le savoir est monolithique ; avoir bien appris, c’est pouvoir le restituer dans la forme sous laquelle on l’a appris. » Le modèle du savoir, c’est le dictionnaire et l’encyclopédie.

Pas étonnant dans ces conditions que l’école et la télévision soient systématiquement opposées l’une à l’autre. L’école seule est faite pour apprendre. La télévision ne peut au mieux qu’informer. Et si cette dernière peut avoir une utilité pour la scolarité, c’est là aussi simplement au niveau du verbal, un enrichissement du vocabulaire en l’occurrence. L’image, ce n’est pas une surprise, n’est pas reconnue comme pouvant avoir un rôle d’apprentissage. Mieux, ou pire, elle est même considérée comme pouvant être négative dans ce domaine. Une fois encore, on appréhende ici l’importance des changements de mentalité que nécessite la perspective d’utilisation de la télévision dans les pratiques pédagogiques.

Tout au plus la télévision peut-elle aider l’enseignement, en jouant un rôle de document, du moins dans les disciplines comme l’histoire, la géographie, les sciences naturelles, où le texte peut avoir besoin d’être illustré. Mais lorsqu’il s’agit des mathématiques en particulier, il n’en est plus du tout question. « La télévision à l’école ? Pas trop, pour certaines matières seulement et jamais sans l’assistance du professeur. » Regarder la télévision reste du côté de la distraction. L’école est faite pour tout autre chose : travailler.

A cette approche globale s’ajoute une comparaison des diverses sources de savoir. L’école, dont on vient de voir qu’elle conserve dans l’esprit des jeunes cette caractéristique de lieu spécifique des apprentissages, est-elle le moyen le plus efficace pour les réaliser ?

Premier point à noter, la conscience aiguë chez les jeunes de la différence de nature entrer les savoirs transmis par la famille, par l’école et ceux qui peuvent être acquis devant la télévision. Le savoir transmis par la famille est essentiellement lié à la vie pratique et concerne avant tout les règles de conduite en société. Les parents sont perçus comme un recours en cas de difficultés de compréhension. C’est auprès d’eux qu’on recherche des explications qui ont pu faire défaut à l’école, même si les adolescents n’hésitent pas à remettre en question le savoir des parents. Par opposition, l’école est perçue comme fournissant un savoir utilitaire ou qui doit se définir comme tel. « L’école reste le lieu où l’on acquiert des connaissances et des aptitudes (lire, écrire, compter, réfléchir), qui serviront dans la via adulte active ». Que la télévision enfin puisse avoir une place dans le développement du savoir est une idée qui ne va pas de soi. Les auteurs de l’enquête notent que se sont les plus jeunes qui y sont le plus favorable. A 10-11 ans, l’essentiel du savoir réside dans la connaissance du monde. A l’évidence pour eux, la télévision peut très bien remplir ce rôle de « fenêtre » ouverte sur le monde que d’ailleurs la télévision a longtemps elle-même revendiqué. Se construit ainsi une vision de la télévision tout à fait caractéristique d’une période où la nouveauté et la puissance du média avaient fait naître de grands espoirs en une mission éducative qu’on voulait à tout prix lui attribuer. Le triple intérêt de la télévision c’est d’être « fortement enracinée dans la vie », sa « rapidité de transmission » et sa possibilité de faire « voir à distance ». Bref, la télévision c’est d’abord de la distraction, ensuite de l’information. L’éducation, troisième volet de la trilogie de ses missions qui a présidé à sa naissance, reste incertaine, méconnue même. A ce niveau, il lui manquera toujours ce que l’école et la famille ont en commun : la présence et l’action de l’adulte, médiateur autrement efficace que tout présentateur quel que soit sa notoriété et sa compétence. Là non plus, nous ne devons pas être étonnés. Apprendre par ses propres moyens, apprendre à distance, n’est pas une pratique dont les jeunes interrogés dans le milieu scolaire ont pu faire l’expérience. De toute façon, il s’agit d’une modalité d’apprentissage qui n’est pas développée à l’époque en tant que tel dans le système scolaire français. Et les enseignants peuvent être rassurés sur l’utilité irremplaçable que leur attribuent les élèves dans les apprentissages scolaires. La problématique de la concurrence est loin d’être le thème dominant de leurs propos. C’est dire combien sa présence insistante dans ceux des professionnels de l’éducation touche en fait au fantasme !

L’expérience de JTA peut-elle modifier ces représentations du monde scolaire que se font les élèves et du savoir qu’ils sont sensés y acquérir ? Certes JTA les surprend. A l’évidence l’opération propose des situations nouvelles, inhabituelles dans le monde relativement clos de l’école. Le rapport aux enseignants est d’ailleurs perçu comme ce qui change le plus dans ces nouvelles pratiques. Le professeur ne peut plus être celui qui sait tout. A propos de la télévision l’élève peut avoir le sentiment d’être enfin à égalité avec les maîtres. Et même, dans pas mal de cas, d’en savoir plus qu’eux. D’autre part les méthodes pédagogiques ne sont plus non plus tout à fait les mêmes. Le travail de groupe en particulier fait l’objet d’une utilisation fréquente et souvent valorisée par l’enseignant lui-même. Mais il n’en reste pas moins que les objectifs fondamentaux de l’opération ne sont pas toujours très clairement perçus. JTA rencontre ainsi les limites de toute innovation réduite à une expérience par définition restreinte. Elle est perçue avant tout comme une parenthèse. « De manière générale, les jeunes apprécient les séances JTA parce qu’elles représentent une brisure dans la monotonie de leur vie scolaire quotidienne. Ils sont sensibles au relâchement des contraintes, heureux de ne pas avoir à subir notations et devoirs. » Limité à cet aspect affectif le bilan est maigre. C’est pourquoi il a pu paraître très vite nécessaire après JTA de rechercher de nouvelles modalités d’introduction de la télévision à l’école. Ainsi, une tension commence à se dessiner au coeur même du rapport de la télévision avec les apprentissages scolaires : ce qui fait son attrait pour les élèves, ce plaisir si évident auquel renvoie sa pratique, même dans un contexte fortement scolarisé, n’est-ce pas cela aussi qui fait obstacle à la reconnaissance de son efficacité pédagogique, comme si apprendre était fondamentalement d’une nature bien différente, où dominent l’effort, le sérieux et l’abstraction. Dans ces conditions la télévision part avec un handicap qui peut sembler difficile à combler dans la mesure où elle combine à elle seule toutes les tares que le système scolaire a toujours voulu expulser de ses pratiques : l’immédiateté trompeuse de la perception visuelle ; la séduction moralement douteuse du plaisir lié à sa dimension spectaculaire.

Au terme de ce travail d’enquête, quelle évaluation est-il proposé de JTA. Ses objectifs ont-ils été atteins, et comment ? Quel a été son impact le plus notable sur les jeunes concernés ?

L’étude Les nouveaux téléspectateurs présente cette évaluation de deux façons. D’abord en formulant des effets immédiats des activités JTA, en particulier de celles qui portent sur la connaissance de la télévision. En second lieu, en proposant un certain nombre de conclusions générales concernant l’ensemble de la relation des jeunes à la télévision et l’action que peut avoir l’école à ce niveau.

Les effets repérés du travail de JTA sur la connaissance de la télévision sont au nombre de quatre :

1 La connaissance de certains phénomènes techniques concernant la télévision facilite l’accès à la notion de représentation. Certes, le développement de connaissances techniques n’est pas l’objectif prioritaire des formateurs JTA, et n’est sans doute pas non plus le centre d’intérêt premier des enfants, surtout des plus jeunes. Mais pour ceux-ci en particulier, il paraît indispensable qu’ils puissent distinguer sans hésitation les deux espaces distincts que sont « celui du monde de l’écran et celui du monde du téléspectateur. » Il y va de l’accès aux notions d’espace et de temps représentés. C’est ce que doit permettre de réaliser l’identification des différentes étapes du parcours de l’image télévisée, depuis sa fabrication et son enregistrement, jusqu’à sa réception par le téléspectateur en passant par sa diffusion. Il y a là un objectif pédagogique qu’on retrouvera formulé en termes de compétences transversales dans le texte ministériel concernant la politique des cycles à l’école primaire.

2 La connaissance du monde des professionnels travaillant pour la télévision permet à l’enfant de confronter ses points de vue avec ceux des autres et d’identifier les intentions de la télévision, qui ne doivent pas être perçus comme étant exclusivement éducatives ni toujours orientées vers les enfants.

3 Les réponses fournies à la question « comment sont fabriquées les images ? » permet de développer la capacité à l’observation, c’est-à-dire « la capacité à prendre de la distance par rapport à l’histoire qui se déroule pour analyser images et sons. » Il est à noter dans ce domaine l’importance qui peut être données à la notion d’ellipse dans la pratique pédagogique, dans la mesure où les enfants ne possèdent pas la notion de montage

4 Enfin, « les observations guidées et les connaissances acquises sur la télévision comme média ont pour effet de créer une distance entre l’enfant et l’écran : l’enfant acquiert une capacité de réflexion sur ce qu’ on lui montre et dans la mesure où il prend conscience que le monde sur l’écran est un monde "fabriqué", il commence à s’interroger sur les liens existant entre ce monde et la réalité. » Ici, c’est la notion de fiction qui est au coeur des enjeux pédagogiques.

L’évaluation globale de l’opération JTA met l’accent en premier lieu sur le lien fondamental de la télévision et de la vie quotidienne. Pour les jeunes, la télévision n’a de sens que par rapport au contexte dans lequel elle est vécue. On a vu comment les objectifs de JTA débordaient largement le cadre scolaire strict, comment il s’agissait tout autant, sinon plus, d’opérer des modifications de l’ensemble des comportements des jeunes, et pas seulement de réaliser des apprentissages scolaires. Cette vision totalisante se trouve donc confirmée. Les jeunes eux-mêmes vivent la télévision comme un phénomène global. Ce qui donc pourra être mis en place à l’école n’aura de sens que par rapport à ce qui se passe dans la famille. Et ce qui se passe dans la famille pourra très bien être influencé par ce qui est mis en place à l’école. « Toute action pédagogique menée à propos de la télévision aura des répercussions qui dépasseront de beaucoup ce seul cadre et il appartient à l’éducateur de ne pas l’ignorer. » La télévision se voit ainsi investie d’un pouvoir que les plus optimistes de ses sectateurs depuis son origine avaient du mal à imaginer. Non seulement elle doit enfin pouvoir remplir ce rôle éducatif que chaque projet de réforme la concernant n’a pas manqué de réaffirmer. Non seulement son introduction à l’école devrait permettre de modifier pas mal de chose, et dans le rapport des élèves au savoir, et dans leur rapport aux apprentissages et donc à l’ensemble du système scolaire, sans oublier le rapport que les jeunes entretiennent avec leurs enseignants.Bien plus, une formation bien comprise à la télévision devrait déboucher à terme à l’apparition d’un individu nouveau, plus responsable, plus conscient, plus ouvert sur le monde et donc mieux armé pour y trouver sa place. D’un côté, le recours à la télévision devrait aider à résoudre nombre des problèmes qui se posent à l’école, même si on ne dit pas vraiment comment. De l’autre sa maîtrise par les jeunes générations serait le gage d’un avenir radieux, tout aussi bien au niveau social qu’au niveau culturel. A condition du moins que cette maîtrise soit également partagée par tous, ce qui bien sûr est une tout autre histoire.

Toujours est-il que la liste des apports possibles de JTA est impressionnante, même si les auteurs de son évaluation ne vont pas jusqu’à affirmer qu’ils sont effectifs pour tous ceux qui ont participé à l’opération. Ce que doit permettre JTA et que ne peut qu’amplifier la généralisation de ses pratiques, c’est :

- l’assimilation de connaissances nouvelles, en particulier au niveau du vocabulaire ;

- de nouvelles relations avec l’entourage adulte ;

- des comportements nouveaux d’observation de l’écran ;

- le développement d’un intérêt pour les questions sur le monde environnant ;

- la possibilité de débattre des questions que pose la société contemporaine.

Bref le nouveau téléspectateur de demain sera véritablement un homme nouveau.

Quant au déroulement de l’opération JTA, un certain nombre d’enseignements pratiques peuvent en être tirés.

1 L’efficacité de la formation est fonction de la fréquence de son déroulement. Plus les séances sont nombreuses, plus l’impact est important.

2 La qualité de la relation des jeunes à la télévision ne dépend pas tant du niveau socio-culturel des parents que de « la qualité de la relation qu’ils entretiennent avec leurs enfants. » Il y a là un thème qui sera repris dès qu’il s’agira de donner des conseils concrets pour modifier la relation des jeunes avec la télévision. Cette relation concerne d’abord les parents, ce qui implique qu’ils se soucient de ce que leurs enfants regardent à la télévision et donc de ce qu’elle leur propose.

3 L’introduction de la télévision à l’école peut permettre de mettre en place une nouvelle relation pédagogique basée sur la participation active du jeune à sa propre formation et sur la compréhension qu’il peut avoir des buts poursuivis. Téléspectateur actif signifie donc aussi élève actif, ce qui n’est possible que si les objectifs visés par la formation sont suffisamment explicités afin qu’elle prenne tout son sens aux yeux des intéressés.

4 La formation du jeune téléspectateur est un facteur de maturation personnelle. « Dans bien des cas, on a pu observer que les séances JTA avaient eu pour effet de faire acquérir des connaissances, des notions ou même des comportements qui n’apparaissent normalement que chez des jeunes d’une classe d’âge supérieure. »

5 Enfin, tout travail sur la télévision impliquant un travail sur l’image, c’est la signification de cette dernière non seulement par rapport au monde scolaire mais aussi dans la vie en général qui prendra un sens nouveau. JTA pourrait ainsi déboucher sur une revalorisation du statut de l’image, lui conférant enfin une dignité égale au verbal en tant que système de sens.

L’ensemble de ces données constitue un véritable programme éducatif, pouvant mobiliser les enseignants et les éducateurs mais aussi les parents, bien que sur ce dernier point les indications contenues dans les diverses publications issues de JTA soient particulièrement succinctes. Sans doute, il s’agit là de l’aspect du projet le plus difficile à mettre en oeuvre, celui dont il était prévisible dès sa formulation qu’il soulèverait le plus d’obstacles. Ce fut pourtant une des causes du succès médiatique de l’opération que d’avoir aussi fortement souligné l’importance de la prise en compte du vécu familial lorsqu’il s’agit de la relation de l’enfant et de la télévision.

Voyons maintenant comment JTA a effectivement tenté de réaliser son projet.

Les pratiques pédagogiques dans JTA

Avant JTA les comptes-rendus d’activités de classes, ou de séances d’animation, utilisant la télévision grand public sont inexistants. Il n’existe pas de publication spécialisée dans ce domaine et les revues ou ouvrages pédagogiques, même lorsqu’elles abordent le domaine de l’audiovisuel, ne prennent en compte la télévision que par l’entrée de la télévision scolaire. De toute façon, nous l’avons vu, l’entrée de la télévision dans le monde scolaire n’est pas encore véritablement légitimée.

C’est donc le mérite de JTA de donner, grâce à la publication d’un second volume des Dossiers du petit écran, la possibilité de se pencher sur des exemples concrets d’utilisation de la télévision grand public.

Pour des raisons de commodité d’accès aux documents, ces expériences sont essentiellement situées dans le contexte scolaire. Elles ne constituent pas la totalité des activités menées dans JTA, mais sont choisies pour être représentatives de la diversité de l’ensemble de l’opération. Rédigés par les formateurs eux-mêmes, ces comptes-rendus sont souvent très différents les uns des autres dans leur forme et leur contenu. Il y a pourtant une unité de fond, due à l’appartenance à la même opération et aussi aux formations de formateurs qui ont été mises en place dans ce cadre au niveau national puis local.

Les activités sont présentées par terrain, soit dans l’ordre : Dordogne (7 comptes-rendus), Hauts-de -Seine (10), Lozère (5), Maine et Loire (7), Pyrénées Atlantiques (9), Seine Maritime et Eure (5), Tarn (7), Vienne (3).Au total ce sont 53 comptes-rendus qui sont ainsi portés à la connaissance du public, chacun pouvant très bien d’ailleurs contenir des présentations d’activités différentes, situées parfois dans des contextes ou des niveaux scolaires différents. Chaque terrain fait en outre l’objet d’une présentation rapide, précisant son cadre institutionnel, le nombre et la fonction des formateurs ayant assuré une formation de formateurs, le nombre des enseignants et des animateurs hors système scolaire étant intervenus auprès des jeunes, les grandes orientations de ces interventions (en particulier les objectifs spécifiques qui ont pu être fixés). Dans certains cas, il est fait état des modalités d’extension de l’opération JTA entre la première et la deuxième année de son déroulement.

Un index en fin de volume indique rapidement les niveaux où se sont déroulées les activités présentées. Particulièrement utiles pour notre propos, ces données nous permettent déjà d’appréhender quelques dominantes quant aux lieux les plus favorables, ou les mieux prédisposés, à la mise en place d’une formation à la télévision.

Pour les raisons matérielles que nous avons déjà indiquées, ce sont les activités se déroulant dans le cadre scolaire qui sont très largement majoritaires : 50 contre 16 seulement , ces dernières se répartissant entre 3 activités en bibliothèque, 7 en centres sociaux, centre de loisirs, MJC et Maisons pour Tous, 4 dans des associations et 2 en formation continue d’adultes.

En fait, cette domination écrasante du scolaire pose problème par rapport aux objectifs même de l’opération. Visant une formation globale de l’enfant téléspectateur, JTA se devait de réaliser une mise en cohérence de ce qui se passe à l’école et dans les familles. Les parents ont-ils été vraiment touchés par l’opération ? Si oui avec quels résultats, si non pour quelles raisons ? D’autre part, l’introduction de ce deuxième volume des DPE souligne les difficultés spécifiques au milieu socioculturel en ce qui concerne la formation du jeune téléspectateur en dehors du contexte scolaire, les animateurs n’étant pas tous suffisamment formés et le public des jeunes n’étant pas toujours suffisamment motivé. Le recentrage sur l’école qui se produira après JTA, qu’il soit voulu ou contraint, aura au moins l’avantage de simplifier les actions concrètes sur le terrain.

Dans le cadre scolaire, c’est le niveau du collège qui domine largement (22 activités) devant le lycée et l’élémentaire (10 chacun). Viennent ensuite l’enseignement spécialisé (3), l’enseignement agricole (2) et l’enseignement professionnel (2). La Maternelle n’étant elle présente que dans un seul cas, le niveau secondaire est largement plus représenté que le primaire (38 contre 11), ce qui peut indiquer que la formation visée est comprise comme plus difficile à mettre en oeuvre avec des enfants petits ou même comme non adaptée à ce public. Il y a là une question importante que nous retrouverons à propos de TÉLÉSCOPE : lorsque la télévision est perçue comme utile aux enseignants, est-ce seulement parce qu’elle apporte des contenus ayant un haut degré de scientificité disciplinaire ?

Les thèmes abordés dans ces activités sont classés par grandes catégories et sont dénombrés par terrain. Nous pouvons ainsi dresser un tableau d’ensemble de la mise en oeuvre de l’opération JTA.

Les activités JTA que présentent ces DPE concernent en majorité l’analyse des émissions. C’est le cas pour 57 d’entre elles, sur un total de 90 (63,33 %). Ces activités sont présentent sur tous les terrains expérimentaux. En ce qui concerne les émissions en question, c’est le récit et la fiction qui vient en tête (21 activités) devant l’information (17), les génériques et la publicité (16) et enfin les « spectacles » avec seulement trois occurrences.

La deuxième catégorie concerne la consommation de télévision. Les 21 activités regroupées sous ce titre se répartissent en enquêtes sur la consommation (9), étude des programmes et de la programmation (8),et approche de la télévision dans le milieu familial (4).

Six activités font ensuite l’objet d’un regroupement dans une catégorie dénommée « champs originaux ». Elles concernent le plaisir et la mémorisation (1), la maternelle (1), les bibliothèques (3) et l’internat (1).

Enfin, six dernières activités concernent les « rapports entre les différents milieux ». Notons à ce propos que ce nombre limité ne préjuge pas de l’importance de la collaboration effective sur les terrains des différents partenaires de JTA. La lecture des présentations des différents terrains montre au contraire que’elle fut importante notamment ans les « cellules locales de pilotage ». Cependant, lorsque l’on passe au niveau des actions avec les enfants, cette perspective ne peut sans doute être effective qu’à partir d’une « généralisation au niveau de tous les éducateurs d’une même unité géographique » qui au niveau de l’expérimentation n’est bien sûr pas réalisée.

Ce tableau appelle plusieurs remarques. D’abord la domination des activités concernant directement les émissions de télévision semble quelque peu contradictoire avec le point de départ même de JTA qui concerne explicitement l’enfant téléspectateur. Menées le plus souvent par des enseignants, les activités JTA ne sont donc toujours dégagées des contraintes scolaires. A ce niveau, il est clair que l’utilisation d’émissions pouvant être mises en rapport avec le scolaire ( fiction et information) et le recours qu’elles permettent à des méthodes, en particulier une sémiologie découlant de la linguistique, déjà maîtrisées à propos des textes écrits, doivent à la fois sécuriser les enseignants et leur sembler une garantie d’efficacité pour leur action. La prise en compte du vécu familial des élèves demande une mutation profonde des orientations pédagogiques, surtout lorsqu’il fait l’objet de jugements négatifs de la part des enseignants, comme c’est le cas à propos de la télévision.

Il n’est sans doute pas pensable de refaire aujourd’hui JTA. Trop d’années ont passé, qui ont introduit des transformations profondes dans la télévision, de telle sorte que le rapport que l’école peut entretenir avec elle ne peut plus être posé dans les mêmes termes. De l’apparition en France de chaînes de télévision privées jusqu’à la privatisation d’une des chaînes du service public, en passant par le renouveau de l’idée de télévision éducative, ce qui a entraîné une nouvelle réflexion sur l’histoire et la signification de la télévision scolaire, c’est l’ensemble du contexte dans lequel se pose le problème de la relation de l’école et de la télévision qui a changé du tout au tout par rapport à celui dans lequel s’est inscrit l’expérience de JTA. Relever ce qui reste aujourd’hui conforme à l’esprit de JTA et ce qui en diffère radicalement, revient donc à mesure le chemin parcouru en une dizaine d’années dans la perspective de l’utilisation pédagogique de la télévision. Peut-être aussi est-ce un bon moyen d’apprécier le chemin qui reste encore à parcourir.

Les acquis de JTA nous semblent au nombre de trois.

D’abord, le projet d’utilisation de la télévision dans les apprentissages scolaires n’a de sens que si la télévision dont il est question à l’école, c’est la télévision grand public, c’est-à-dire toute la télévision. Ce ne peut pas être seulement celle destinée aux enseignants ou aux élèves, définie comme ayant explicitement la vocation de faire apprendre et qui aurait la prétention d’être la seule à pouvoir le faire. JTA l’a affirmé avec force : Si la télévision mérite d’être introduite massivement à l’école, ce n’est pas en tant qu’elle est institutionnellement désignée comme possédant une quelconque légitimité pédagogique. C’est d’abord en tant qu’elle est un média spécifique, important dans la vie de l’enfant et dans la vie culturelle et sociale.

Deuxième point, la volonté de développer une formation de l’enfant téléspectateur. JTA propose globalement un apprentissage de l’utilisation de la télévision, dans un contexte pédagogique d’abord, mais aussi en dehors de toute référence à l’école, au niveau de la quotidienneté de la pratique télévisuelle, celle dont JTA avait fait son enjeu fondamental. Formation du jeune téléspectateur, formation du regard ou éducation des choix à propos de la télévision, les formules varient. La perspective est la même : celle qu’on retrouvera dans de nombreux projets d’éducation aux médias, en tant que la consommation télévisuelle des enfants pose problème aux éducateurs tout autant qu’aux parents.

Enfin, l’orientation majeure de JTA consiste à affirmer que le problème de la télévision ne peut pas être abstrait de ce qui se passe dans la famille, lieu par excellence de la consommation télévisé,. Ainsi un retour sur l’expérience de JTA permet de déboucher sur un des enjeux majeurs du rapport école-télévision et qui peut se formuler ainsi : un usage pédagogique de la télévision (visant et permettant de réaliser des apprentissages scolaires), est-il possible indépendamment d’une visée éducative, c’est-à-dire mettant en jeu une formation du jeune téléspectateur ? Dans le cadre de JTA, la réponse est évidemment négative. Bien plus, nous l’avons vu, une de ses premières hypothèses consiste à affirmer l’interdépendance du travail scolaire et du vécu de téléspectateur des élèves. Cependant, on peut se demander si l’évolution des pratiques pédagogiques dans leur ensemble ne repose pas sur une tout autre conviction. Une conviction qui maintiendrait le primat du pédagogique sur l’éducatif et la spécificité de l’école dans le développement des apprentissages. Réalisé à partir de la télévision, ce recentrage n’en est que plus significatif. Significatif de quoi ? Nous répondrons par la formulation d’une hypothèse : ce retour à la pédagogie dans l’introduction de la télévision à l’école correspond à une nouvelle définition de la fonction enseignante. Non plus « professionnel de la communication » comme disait le rapport Pomonti, mais expert des apprentissages.

Jean Pierre CARRIER

Mise en ligne le 28 mai 2006
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