Comprendre les médias >> Internet

Wikipédia, une encyclopédie pas comme les autres.
Pierre-Camille HAMANA

Tapez « Etats-Unis », « Alice au pays des merveilles » ou « Paradoxe de l’emmental » dans votre moteur de recherche favori, et il y a de fortes chances pour qu’il vous donne, dans les tous premiers résultats, un lien vers l’encyclopédie en ligne Wikipédia.

Wikipédia est une encyclopédie bien originale, car écrite collaborativement : chaque contributeur, que l’on appelle « wikipédien », est bénévole, et peut librement modifier chaque article, ou en créer un qui serait manquant, parmi les 550 000 que propose la version francophone, ou les près de 2 000 000 de la version anglophone.
Les chiffres donnent le vertige (jusqu’à 750 tomes pour créer une version papier de la version anglophone), mais ne suffisent pas à éteindre les polémiques dont Wikipédia est l’objet. Tour à tour non fiable, erronée ou carrément mensongère, repaire d’une cabale d’administrateurs adolescents, Wikipédia serait, finalement, une version très sujette à caution de ses illustres prédécesseurs, parmi lesquels figurent, au premier banc, Britannica et Universalis.
Wikipédia, à l’évidence, est une encyclopédie bien insolite ; question de stratégie. Au lieu de commander à un ensemble d’experts reconnus d’écrire une encyclopédie, moyennant finances, le premier quidam venu peut se proclamer encyclopédiste sur Wikipédia. Les contributions y sont libres et bénévoles, mais pas forcément désintéressées : nombreuses sont ainsi les personnes mettent en ligne leurs curriculum-vitae, le rendant ainsi accessibles à tout internaute au même titre que celui de Georges Bush. D’autres n’hésitent pas, en revanche, à détourner un article pour en faire une plate-forme politique : que ce soit la mairie de Levallois-Perret qui blanchit une partie de l’article consacré à Patrick Balkany, ou, Wal-Mart qui empêche, durant plusieurs mois, que l’on parle des conditions de travail des employés, alors que des études avaient été faites sur ce sujet... Plus couramment, ces petites manipulations sont le fait... des contributeurs eux-mêmes : on ne retrouve ainsi, sur les articles consacrés à l’énergie nucléaire, que les partisans et les adversaires de l’énergie nucléaire, sur les articles consacrés à l’immigration illégale, les adversaires et les défenseurs des sans-papiers. Et de même pour presque chacun des milliers d’articles.
C’est d’ailleurs ce qui fait, un peu, la force de Wikipédia. Chaque article est corrigé par une foule d’autres, chaque ajout ou suppression de données est vérifié est contrôlé. Si un point est mis en cause, il suffit généralement que son « adversaire » donne une information et sa source pour mettre fin à la controverse. Une sorte de « main invisible » qui suffirait à construire une encyclopédie.
Fort heureusement, la machine wikipédienne ne s’arrête pas à cette vision naïve.
Wikipédia est également une communauté, un projet, aux règles baroques. Il existe par exemple 10 statuts d’utilisateurs différents : entre le bot, qui n’est qu’un simple programme qui permet de modifier plusieurs milliers d’articles, programmé par un dresseur, et l’arbitre, juge de paix chargé de trancher les conflits lorsque le travail collaboratif devient synonyme de guerres d’éditions, wikibreak et flots d’injures, on retrouve, principalement, les administrateurs. Ceux-ci n’ont pas, comme leur nom le laisse tristement sous-entendre, le moindre pouvoir de direction sur les autres bénévoles. Ils ont néanmoins la possibilité de supprimer une page, ou de bloquer un utilisateur, lorsque la communauté wikipédienne le leur demande, ou lorsqu’une règle adoptée par la communauté le leur impose. Ils sont élus par la communauté, mais ont un mandat à vie.
Les règles d’édition de Wikipédia pourraient même donner naissance à un Code Wikipédien : entre principes fondateurs, règles, recommandations ou simples conventions de style, il est facile de se perdre, tout comme, pour ceux qui savent en jouer, d’opposer une règle à un contributeur. La communauté a aussi ses craintes : crainte d’une plus forte bureaucratisation devant l’afflux de nouveaux utilisateurs, mais également crainte d’une transformation de Wikipédia en plate-forme publicitaire (il faut dire que la fondation Wikimédia, qui finance le projet et sert de parapluie juridique, est très gourmande en financement). Elle se développe cependant, d’un train de sénateur : à l’inverse de ses concurrents, Wikipédia, en l’effet, n’est pas contrainte par le temps ; tout est d’ailleurs fait pour que le projet soit le plus pérenne possible, de sorte que, dans 50 ou 100 ans, Wikipédia suscitera, avec un peu de chance, encore bien des controverses.
Car Wikipédia, si elle a ses admirateurs, a également ses contempteurs. Pierre Assouline, par exemple, avait jeté ses foudres sur l’article de Wikipédia consacré à l’Affaire Dreyfus. Il est vrai que cet article indiquait alors qu’un ouvrage de 1909 était à consulté en priorité, comme référence sur le sujet... or c’était un ouvrage nationaliste, puissamment antisémite, pour qui la culpabilité de Dreyfus ne faisait aucun doute. L’article a depuis été entièrement réécrit, et a reçu la petite médaille d’article de qualité, distribuée par les contributeurs eux-mêmes pour un article qui doit satisfaire à un cahier des charges très exigeants : avec plus d’une cinquantaine de relecteurs différents, le canevas est trop étroit pour laisser passer une phrase douteuse, équivoque ou sujette à caution. Finalement, l’attention n’aurait sans doute jamais été portée à une erreur pourtant si manifeste si Pierre Assouline n’avait pas mis le doigt dessus... Notons également, parmi les travaux des contempteurs, un mémoire écrit par des étudiants en journalisme de Science-Po (dans lequel enseigne Pierre Assouline, ce qui ne saurait être qu’une coïncidence). Ceux-ci ont introduit dans Wikipédia diverses erreurs, et ont décidé de chronométrer, pour voir en combien de temps et comment les wikipédiens réagissent. Wikipédia affirmait ainsi que Pierre Assouline avait été dans sa jeunesse un champion du monde de squash, et que Tony Blair était un catholique convaincu et pratiquant. Les informations ont été corrigées, mais trop tard : après la publication de ce mémoire. ..
Comme d’autres encyclopédies, Wikipédia ne fait aucune garantie de la fiabilité de son contenu. Mais plus sur Wikipédia qu’ailleurs, ses informations doivent être surveillées, attribuées à une source. Que des étudiants (et d’autres !) utilisent Wikipédia comme unique ressource pour leurs propres travaux me désole, car c’est ne pas comprendre ce projet : la principe chose que Wikipédia puisse apprendre, ce n’est pas l’arbre généalogique de Donald Duck ou les procédés d’élevage de crevettes, mais un rapport soupçonneux vis-à-vis d’une information ; ne pas croire sur parole celui qui parle le plus fort. Ce point ne dégage pas Wikipédia de sa responsabilité vis-à-vis de ses lecteurs ; au contraire, tout lecteur est invité à faire part de ses commentaires, ou à modifier de lui-même l’article.
Aussi, quand vous vous demanderez ce que peut bien être le paradoxe de l’emmental, n’hésitez pas à le modifier et le compléter

Pierre-Cammille HAMANA

Mise en ligne le 9 septembre 2007
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