Article publié dans le VEN 536, et rédigé par Jean Pierre Carrier
Chronique d’un été est le premier film,
et sans doute le seul, à avoir revendiqué
explicitement l’appellation de Cinéma
Vérité. Formule des plus problématiques ;
comment le cinéma pourrait-il revendiquer
de dévoiler LA vérité ? Certes les
auteurs ne sont pas assez naïfs pour avoir
cru cela possible. En fait, il s’agissait simplement
pour eux de se référer à Dziga
Vertov et à son Kino Pravda – les compléments
cinématographiques du journal
du parti bolchevique. Toujours est-il que
l’expression fut quasiment définitivement
abandonnée par les cinéastes, même si
on la retrouve encore aujourd’hui dans
maints commentaires. Comme s’il s’agissait
d’une sorte de boîte noire du cinéma
documentaire toujours hanté par le
souci de ne jamais encourir le reproche
de falsification (truquage, bidonnage,
maquillage, transformation) de la réalité.
Prêcher le vrai pour ne pas risquer de
se voir accusé du faux.
Dans son introduction, Rouch présente
le film comme « expérimental », ce qu’il
explicite en précisant qu’il est tourné non
avec des acteurs mais avec des personnes
communes, rencontrées au hasard dans
la rue, « monsieur tout le monde » en
somme. Ce qui ne correspond précisément
qu’à la séquence du micro-trottoir.
Pour le reste, s’il ne s’agit pas d’acteurs
professionnels, s’ils ne jouent pas un rôle
qui ne correspondrait pas à leur personnalité,
les hommes et les femmes présents
dans le film sont quand même choisis par
les auteurs du film pour leur singularité,
comme l’Africain Lam ou l’ancienne
déportée Marceline Loridan, future
cinéaste, auteure d’un nombre important
de films, soit en coréalisation avec son
compagnon Joris Ivens, soit comme
auteure à part entière.
S’agit-il alors d’approcher aussi précisément
que possible la vérité de ces êtres,
sans masque pourrait-on dire ? Là aussi
Rouch questionne dès l’introduction la
faisabilité d’une telle entreprise : comment
peut-on affirmer que l’on puisse
être devant une caméra comme l’on est
en son absence ? Et ce que l’on dit dans
un micro relié à un magnétophone n’estil
pas influencé par cette dimension de
propos enregistré ? Et Rouch de parler de
« ruse » pour rendre compte du travail que
Morin et lui vont mettre en oeuvre,
travail d’interviewers et de sociologues.
Parler de ruse dans la même séquence où
il a été question de cinéma vérité en dit
long sur l’incertitude qui règne sur l’entreprise.
Il n’y a alors qu’une seule solution
; tenter le coup, jouer le jeu, et on
en reparlera à la fin de l’été, au moment
de conclure le film.