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IL ETAIT UN PERE OZU 1942
Jean Pierre Carrier

Il y a dans la pièce de séjour de l’appartement du père à Tokyo un hôtel où les membres de la famille peuvent venir se recueillir en mémoire de la mère défunte. C’est ce que le père demande de faire à son fils, 25 ans, qui vient de lui annoncer qu’il a passé avec succès la conscription et qu’il est donc mobilisé. « Va le dire à ta mère ».lui demande-t-il. Occasion pour le cinéaste de filmer de façon quasi documentaire ce rituel ancestral. Mais en même temps cette demande résume à elle seule la nature des relations du père et du fils, le sens de l’honneur et du devoir de l’un et l’obéissance respectueuse de l’autre. A la veille de l’entrée en guerre du Japon, ces valeurs sont le ciment inaltérable de la famille.

La famille dans ce film d’Ozu qui date de 1942 est réduite au père et au fils, que la magie des ellipses nous montrera de l’entrée du collège à la sortie de l’université et l’accès au premier poste de professeur. Les étapes de la vie du fils ne sont en fait qu’évoquées en creux dans les discussions à l’occasion des rencontres avec le père. Ou plus précisément, des monologues paternels qui tiennent lieu de discussion, le fils étant certes très attentif, mais particulièrement silencieux.

Ces rencontres constituent l’essentiel du film, le père y annonçant ses décisions concernant la vie familiale, c’est-à-dire la scolarisation du fils et sa propre activité professionnelle. Pour éduquer son fils, le père fait le choix de le confier aux institutions scolaires, pensionnat dès le collège, puis le lycée et l’université. L’avenir de l’enfant dépend entièrement du succès de ces études, jalonnées par des concours d’entrée à chaque étape auxquels il n’est pas permis d’échouer. Pour assurer les contraintes matérielles de ce parcours, le père doit trouver des emplois de plus en plus élevés, c’est-à-dire situés dans des villes de plus en plus importantes, ce qui l’amènera à partir pour Tokyo. Les rencontres père-fils deviendront ainsi de plus en plus espacées, pour finir par se réduire, dans ce que le film nous en montre, dans la fameuse partie de pèche symbole de l’entente et de l’unité familiale. Dans ses conseils à son fils, ou plutôt l’énoncé de ses préceptes éducatifs qui doivent devenir pour le fils, quel que soit son âge, de véritables directives de vie, la valeur dominante est l ‘amour du travail bien fait, ce qui implique de se consacrer entièrement à sa tâche, son activité professionnelle. Cela implique le rejet de tout carriérisme. Il ne s’agit pas de réussir pour gravir les échelons qui pourraient mener au pouvoir. Mais de trouver le bonheur dans la satisfaction de faire à la perfection ce que l’on a à faire. L’activité professionnelle est alors le seul domaine où la vie peut prendre sens, puisque la mort de l’épouse ( on ne sait pas si le fils a connu sa mère), condamne à un célibat où le seul loisir est la partie de go dans un club entièrement masculin. La vie du père est ainsi entièrement centrée sur cette éthique professionnelle. Le début du film est à cet égard particulièrement significatif. Le père est enseignant, de maths semble-t-il, mais il démissionne à la suite de la noyade d’un de ses élèves lors d’une sortie scolaire. Son collègue a beau lui dire qu’il n’est pas matériellement responsable de l’accident (il avait interdit l’usage des barques, ce qui n’a pas été respectés), il s’en attribue la responsabilité morale. Sa réflexion sur l’accident dévoile une conception de l’éducation qui ne tolère aucun manquement à la considération due aux élèves. Il ne met aucunement en avant la désobéissance fatale de l’élève, mais la faute du professeur qui n’a pas su faire que l’interdiction qu’il a édictée soit effectivement respectée. Il y a là un bel exemple d’une position particulièrement rigoureuse de la responsabilité de l’enseignant, position qui bien sûr doit être resituée dans le contexte particulier dans lequel est tourné le film (le Japon de 1942), mais qui peut tout aussi bien définir une valeur universelle de l’éthique professionnelle de l’enseignant.

Si le film est centré, comme son titre l’indique, sur la personne u père, la description du fils n’en est pas moins intéressante. Ce qui semble le point commun de sa posture filiale tout au long des années sur lesquelles s’étale le film, c’est sa volonté, ou son désir, de vivre chez son père, avec son père. Demande repoussée, et espoir chaque fois déçu, même si la déception est forte chez le fils et tout aussi bien difficile à supporter pour le père. Mais il ne faut pas interpréter ce refus du père comme une marque d’égoïsme, l’envie de vire seul sa vie sans s’encombrer d’un enfant. C’est là une position occidentale et contemporaine qui n’a pas sa place dans la mentalité japonaise qui sous-tend le film, et en grande partie toute l’œuvre d’Ozu. Le père, dans ses décisions concernant son fils, ne pense qu’à l’avenir de ce dernier, avenir qu’il estime ne pouvoir pleinement assurer seul. D’où le recours à l’institution scolaire, qu’il connaît bien pour l’avoir vécu de l’intérieur et en laquelle il a toute confiance. Son statut de « bon prof », que confirme l’admiration et la reconnaissance que lui manifestent ses anciens élèves dans le repas de retrouvailles, lui confère nécessairement une image de « bon père ». Le fils, lui, ne sera un « bon fils » qu’à partir de moment où il dépasse sa déception, non pour se plier servilement au désir paternel, mais parce qu’il comprend le sens et donc la nécessité de la vision paternelle du bonheur.

Un bonheur simple, quasi-bucolique, qui se concrétise visuellement dans la partie de pèche - répétée deux fois – où père et fils dans un synchronisme parfait, laissent dériver leur ligne pour la relever et la relancer d’un seul mouvement. Peu importe alors de ne pas prendre de poisson. Ce qui compte c’est, dans la communauté de geste, la sensation de l’identité familiale.

Jean Pierre Carrier

Mise en ligne le 21 août 2011
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