De l’argentique au numérique
Historiquement, dans les années Soixante dix
à Quatre-vingt, les Ceméa ont investi
les technologies de l’image et du son, en
les intégrant dans des projets culturels
autour de la photo et ses joies du développement
sous les lampes à lumière rouge,
autour du cinéma et le bon vieux super 8
avec la colleuse pour les montages, de la
vidéo et de la presse, en référence à la
pédagogie Freinet… Leur parti-pris était de
mettre les jeunes en situation de création
de contenus, démystifiant les technologies,
en les mettant au service de projets d’expression.
Il s’agissait également de développer
chez eux une éducation au regard
et une compréhension de la fabrique de
l’information…
Aujourd’hui depuis la bascule dans le
XXIe siècle, ces technologies 2.0 voire déjà
3.0, s’appuyant sur la puissance du numérique
et de ses réseaux se sont glissées
dans tous les domaines de la vie de manière
quasiment invisible, mais avec une puissance
décuplée, si l’on songe au potentiel porté
par l’intelligence artificielle, les objets
connectés et la force des algorithmes.
Le numérique a ceci d’implacable et d’irréversible
qu’il ne se contente pas d’un perfectionnement
technique d’outils particuliers,
mais s’insère et agit, au coeur même de
notre culture et du lien social, modifiant
jusqu’à notre rapport aux autres et notre
regard sur le monde.
L’usager dans ces univers n’est souvent
qu’une valeur marchande, enfermé dans
des stratégies de persuasion, qui capte en
permanence son attention.
Pour s’approprier de manière citoyenne les
cultures de l’information, de l’image, de la
coopération et du partage, pour apprendre
à se construire une identité et une présence
dans les espaces numériques valorisantes,
les Ceméa à travers les actions de leur
département « Médias, Éducation critique
et Engagement citoyen » accompagnent
les jeunes vers l’acquisition d’un ensemble
de compétences.
Des compétences
nécessaires et diversifiées
Ces compétences sont opératoires : savoir
comment fonctionnent les plates formes,
savoir les détourner (apprendre à créer et
modifier les espaces numériques dans un
regard critique), éditoriales (écriture, annotation,
lecture, hiérarchisation de l’information,
publication) et organisationnelles
– navigation, tri, filtrage, évaluation.
Elles recouvrent également des dimensions
économiques, de droit et de citoyenneté,
en référence à la Convention internationale
des droits de l’enfant.
Les applications connectées incitent et
développent des usages d’internet facilitant
toujours plus la production et la diffusion
de contenus. Nous ne pouvons plus nous
contenter d’une éducation à la production
de contenus comme nous avons pu le faire
dans les années Quatre-vingt… Car ces
applications connectées induisent, la prolifération de prises de parole sur n’importe quel sujet, confondant le commentaire spontané
avec une opinion construite et engageant
une pensée. Elles favorisent la confusion
entre le savoir et les croyances, ouvrant la
porte à la rumeur, aux informations « complotistes
»… hiérarchisant les informations en
fonction d’algorithmes qui nous enferment
dans des « bulles ». Elles transforment la vie
privée en norme de communication, d’où le
déploiement d’applications sur les smartphones
nous donnant la garantie de gagner toujours
plus en popularité. Les compétences nécessaires,
selon notre mouvement d’Éducation
nouvelle, doivent s’articuler à deux valeurs
fondamentales, la critique et la création,
c’est un retour aux fondamentaux de l’éducation
populaire. Face à l’individualisme des
écrans qui ne fait que s’accentuer pour
beaucoup de jeunes connectés, en permanence
rappelés à l’ordre par leurs applications elles mêmes
de rester connectés, les Ceméa proposent
des pratiques remettant le collectif
au centre des démarches et la déconnexion
comme un élément de vie sociale, en appui
sur des valeurs laïques, citoyennes, de vie
sociale. Ce triple ancrage est au coeur des
dispositifs et des actions d’éducation aux
médias, à l’information et au numérique que
nous mettons en oeuvre aujourd’hui, à l’école,
dans les structures de loisirs ou à caractère
social, dans les formation d’éducateurs, d’animateurs…
Un combat de valeurs et de conception du monde
Mais l’approche sur les terrains de l’éducation
et de la culture ne suffit pas. Nous devons
l’articuler avec un engagement dans l’espace
public, au regard des rapports de force qui s’y
déploient. Les Ceméa opposent à travers le
collectif Enjeux e-médias, créé en 2012 une
résistance aux stratégies des grandes groupes
comme les GAFAM (Google, Apple, Facebook,
Amazon,Microsoft) et construisent des propositions
alternatives. Nous agissons ainsi en
partenariat avec des collectifs de journalistes
citoyens, pour une information citoyenne
de qualité, garant de toute vie démocratique.
En appui avec d’autres notamment les associations
promouvant une économie du partage
et du « commun », nous intervenons en tant
que société civile, auprès des pouvoirs publics
et des organismes comme le CSA, la CNIL,
le Défenseur des droits… dans une démarche
de co-régulation citoyenne contre le leurre
de la seule auto-régulation des industries
numériques et du marché.
En un demi-siècle, les Ceméa sont passés
d’une approche « outils », nos groupes de
travail se dénommaient alors « groupe photo,
groupe cinéma » (années Soixante-dix), à
une vision plus globale à travers un département
« Nouvelles technologies de l’information
et de la communication » (années Quatre vingt-
dix), puis à une approche centrée sur
les publics comme le montre l’appellation du
département national « Enfants, écrans, jeunes
et médias » dans les années 2000… Aujourd’hui
en s’appuyant sur leur pôle national « Médias,
Éducation critique et Engagement citoyen »,
les Ceméa ancrent leurs actions dans une
approche plus politique et sociétale pour que
les médias, au regard de l’influence qu’ils ont
sur le développement des personnes, leur
socialisation et de leur impact sociétal en
termes de vie démocratique, s’inscrivent dans
un projet éthique et humaniste.