Des questions, toujours et encore des questions...Des simples, des plutôt surprenantes, des qu’on ne voit pas très bien comment on pourrait répondre autrement qu’au hasard. Cliquer pour répondre n’est certes pas très difficile, mais faire un sans faute est une tout autre histoire. Peu importe au fond, si l’on joue assez longtemps son tour reviendra à coup sûr. Et l’un des principaux attrait du jeu réside certainement dans la quantité quasi infinie des questions, de leur variété et de la certitude que personne n’est omniscient.
Le multimédia a ici toutes les chances pour profiter pleinement de l’attrait indéniable des petits éventails cartonnés remplis de questions-réponses qui ont fait le succès des Incollables et de le renouveler pour en faire un jeu des plus séduisants. Grâce à la puissance de l’image et du son, bien entendu ! Puissance qui est ici utilisée au maximum. Et comme les concepteurs ont essayé de donner un rythme endiablé au jeu, ne laissant aucun moment de répit aux joueurs, on peut parier que les parties engagées dureront un bon moment, ce qui devrait être une garantie au moins d’un divertissement particulièrement plaisant, si ce n’est d’une acquisition de connaissances, ce qui est une autre paire de manches...
La version que nous propose le multimédia permet de jouer à plusieurs (par définition ce jeu est collectif, jouer seul ne peut être qu’une sorte d’entraînement mais devient vite ennuyeux par manque de compétition) ; on peut aussi choisir le niveau des questions pour chaque joueur (du cp au cm2 avec une possibilité adulte pour permettre le jeu en famille) et un chronomètre est disponible, qui limite le temps de réponse. Comme au jeu de l’oie, la dimension chance est renforcée par la présence de cases spéciales, les cases " trappe " qui font reculer le pion en cas de mauvaise réponse, ce qui est compensé par l’existence de cases " catapulte " qui elles ont l’effet inverse. Enfin, des pouvoirs spéciaux sont aussi mis à disposition du joueur. Le pouvoir turbo a pour effet de faire se déplacer le pion deux fois plus loin en cas de bonne réponse. Le pouvoir champion permet de choisir son domaine de questionnement, et le pouvoir joker permet de remplacer la question posée par une nouvelle question. Le joueur devra utiliser ces pouvoirs au bon moment, ce qui introduit un petit air de jeu de stratégie qui vise surtout à rompre le côté vite répétitif de la succession des questions. Mais le véritable plus réside dans l’animation du plateau présentant en 3D un univers intergalactique, dans lequel les pions choisis (tous plus drôles les un que les autres) font des pirouettes, foncent comme des fusées ou sautillent lentement d’une case à l’autre. Le tout peut parfois donner un peu le vertige aux adultes, mais les enfants aiment et en redemandent. Encore une fois, l’important est bien qu’on poursuive le jeu le plus longtemps possible !
Côté contenu, tous les grands domaines de connaissance sont représentés, avec une nette domination des disciplines scolaires. D’ailleurs, la référence à l’école est explicite dans les encouragements qui sont prodigués aux joueurs à l’issu des réponses. En cas de succès, les propos sont des plus flatteurs " super ! tu dois être le premier de ta classe ", ou bien " continue, tu es sur la bonne voie . " En cas d’échec, tout est fait pour ne pas décourager l’enfant : " ce n’est pas grave, on peut tous se tromper ", " réfléchi bien la prochaine fois " ou " ne te décourage pas, c’était une question difficile ". On est proche dans cette volonté de minimiser les erreurs de bien des programmes d’accompagnement scolaire. On retrouve ici la même pratique qui consiste à ne pas s’arrêter sur les mauvaises réponses et à les remplacer quasi instantanément par la vérité. L’acquisition de connaissances reste ainsi une pure affaire de mémoire, avec un côté aléatoire particulièrement important. Mais ne reprochons pas à ce jeu de ne pas être un instrument d’apprentissage, ce qu’il ne prétend aucunement être. Situé prioritairement au niveau du divertissement, il présente un vision de la culture bien en accord avec la représentation sociale dominante : ce qui compte avant tout c’est de pouvoir faire montre de son savoir. La connaissance se voit ainsi ramenée à une accumulation - infinie !- de données disparates, entre lesquelles n’existe aucune relation. Et ceci est parfaitement cohérent avec la fiction introductive qui confie aux joueurs la mission de reconstituer la mémoire défaillante du super-ordinateur destiné à emmagasiner toutes les connaissances disponibles. Bref, point de salut en dehors de l’encyclopédisme ! Il est ainsi quand même dommage que les moyens particulièrement élaborés qui sont mobilisés au niveau de l’image et du son, soient en fait mis au service d’une conception des plus traditionnelles, pour ne pas dire dépassée, de la connaissance.
Jean-Pierre Carrier