Regard critique sur des contenus plurimédias >> Cédéroms

Les guides Dada Média
Jean Pierre Carrier

La société Dada Media est connue pour produire des cédéroms à destination des jeunes enfants particulièrement originaux, et donc étonnants, surprenants, voire dérangeants pour pas mal d’adultes, surtout s’ils n’ont pas une pratique très fréquente des œuvres multimédias. Parmi ces productions, les plus connues sont sans doute les adaptations des albums de l’auteure tchèque Kveta Pacovska, Le Théâtre de Minuit et Alphabet, à quoi il faut ajouter Minuit Fantôme et Récréation Fantôme d’après les livres de Jacques Duquesnnoy. Enfin Dada Media propose deux autres titres, Images à jouer et Domicile d’Ange Heureux.
Pour chacun de ces titres, Dada Media édite des « guides » qui, sans s’appeler officiellement pédagogiques, sont explicitement destinés à un public d’enseignants et vise une utilisation en classe de type pédagogique. Que nous proposent exactement ces guides et quelle utilité peuvent-ils avoir dans le champ de la pédagogie ?

Des guides de navigation multimédia
Première intention de ces guides : l’aide à la navigation. Ce qui signifie clairement que dans ces titres celle-ci est peu aisée et n’est jamais immédiatement maîtrisée. Le Théâtre de Minuit et Alphabet surtout sont des œuvres particulièrement originales, riches en surprises et en création visuelle et sonore. C’est dire qu’elles fonctionnent différemment de la plupart des titres figurant sur le marché du multimédia. Leur découverte et leur prise en main demandent de l’effort et de la persévérance. Il faut entrer dans le fonctionnement du titre. Ne pas se laisser rebuter par le côté a priori incompréhensible de ce qui se passe sur l’écran. Au sens propre, il faut apprivoiser l’œuvre. Beaucoup d’adultes, même parmi les enseignants, n’ont pas cette tournure d’esprit. Surtout ceux qui sont habitués à ne faire fonctionner une « machine » qu’à partir de son mode d’emploi. Ici le cédérom ne donne aucune indication sur la façon d’utiliser la souris ou le clavier. Il faut découvrir par soi-même comment on passe d’un écran à l’autre. Et surtout il faut accepter d’être mené par le hasard. Bien sûr, Il est possible de découvrir petit à petit certaines des commandes de navigation. Par exemple, dans le Théâtre de Minuit, la transformation du curseur en lune, ce qui permet au clic de lancer le changement d’écran. Mais rien ne dit si ce qu’il faut faire sur le reste de l’écran c’est cliquer ou simplement survoler les différentes parties de l’image. Certes, le livret figurant dans le coffret du cédérom donne des indications sur ces manipulations. Mais même s’il est consulté, le mystère du fonctionnement reste en grande partie entier. Et c’est tant mieux ! Car dans le fond, le plaisir que peuvent fournir ces titres, c’est justement celui de la découverte progressive de son contenu, en étant attentif aux variations produites par les actions effectuées tout en restant ouvert aux surprises. Bien des ressources du programme ne se révèleront vraiment qu’au deuxième ou au troisième retour au même écran. Il faut alors accepter de reconnaître que précédemment on n’avait pas compris, ou qu’on n’avait pas été assez patient pour découvrir ce qui était bien caché. Encore une fois, le plaisir de la manipulation de ces titres doit se mériter et n’est jamais offert à ceux qui demandent de tout comprendre dans l’instant, ou qui restent indifférents aux premières variations apparaissant sur l’écran, souvent de façon bien rapide et fugace d’ailleurs.

Le Théâtre de Minuit et Alphabet
Le Théâtre de Minuit et Alphabet sont deux titres qui concrétisent parfaitement l’espoir placé dans la notion d’interactivité d’un nouveau rapport à l’œuvre. L’utilisateur du programme n’est plus un spectateur extérieur (certains diraient passifs). C’est lui qui construit l’œuvre qu’il visionne. Il en est réellement le co-auteur, ou selon une formule reprise par beaucoup de chercheurs, le « spect-acteur ». L’œuvre vue n’est d’ailleurs jamais exactement la même à chaque visionnement puisqu’elle dépend des actions effectuées sur le programme. Ce que renforce d’ailleurs un des principes voulus par l’auteur premier de l’œuvre, à savoir le recours au hasard.
Les guides consacrés à ces deux titres proposent d’abord un tableau synthétique des contenus des différents écrans du programme, organisé en « plan de navigation ». C’est-à-dire qu’il matérialise les possibilités de passage d’un écran à l’autre ou à d’autres, ce qui permet de repérer les cheminements imposés (sortir d’un écran conduit nécessairement toujours au même écran), ou les possibilités d’aller retour, ou les ouvertures plus ou moins aléatoires vers un plus ou moins grand nombre d’écrans différents. Puis chaque écran est présenté, identifié par un titre qui n’apparaît pas dans le cédérom. Les éléments visuels sont décrits en quelques mots, ainsi que les actions qui peuvent être effectuées. Les effets obtenus sont présentés également dans leur dimension visuelle et sonore. Autrement dit, à partir de la description de l’écran tel qu’il apparaît sous sa forme première, on identifie les actions qui peuvent être effectuées et leurs résultats. Ce qui est en jeu, c’est donc bien la manipulation des éléments du programme. Mais sans que cette manipulation soit imposée, ni dans sa durée ni dans son ordre de mise en œuvre. Car bien sûr, ces deux éléments sont entièrement confiés à la volonté de l’utilisateur. En même temps, ces descriptions indiquent une signification possible des résultats obtenus. Par exemple pour l’ascenseur du Théâtre de Minuit, le principe de verticalité. « Ces drôles de personnages ne se déplacent qu’en respectant le principe de verticalité : ils montent ou descendent. Ils ne marchent pas, ils sont emportés par des ascenseurs invisibles, se croisent, se chevauchent... » p 25. Cette identification d’un principe qui donne sens aux actions effectuées par l’utilisateur est fondamentale. Elle montre que la construction du programme correspond à une intention. Et que l’interactivité qu’il propose n’est jamais arbitraire. Cette intention de l’auteur que l’utilisateur doit en quelque sorte s’approprier, même de façon simplement implicite, est sans doute ce qui est le plus difficile à identifier pour un adulte trop rationnel ou un enfant trop pressé. Le simple fait que ces guides puisse aider à leur identification est une preuve de leur pertinence et justifie pleinement l’entreprise.
Cependant, il n’en reste pas moins que la découverte autonome et personnelle des possibilités du programme est en soi irremplaçable. La lecture du guide ne doit pas se substituer à l’exploration du programme. Disons simplement que s’il est justifié d’y avoir recourt, c’est surtout pour confirmer les découvertes faites dans l’exploration autonome. Ou pour révéler les actions les mieux cachées et qui auraient pu passer inaperçues. Reconnaissons aussi que l’aide qu’ils apportent est sans doute bien utile pour beaucoup d’adultes pour qui le multimédia est encore une nouveauté. Un programme multimédia innovant n’est jamais facile d’accès. Les risques de découragement et d’abandon sont bien réels pour beaucoup. Une aide n’est alors jamais totalement inutile. Question de montrer que les blocages peuvent facilement être dépassés. Et une telle aide est particulièrement utile dans le contexte d’une utilisation pédagogique. Car elle permet une appréhension quasi exhaustive des ressources du programme, ce qui est particulièrement difficile à effectuer seul. Sans parler d’une maîtrise élevée de la navigation, ce qui est indispensable dans le cadre d’une utilisation avec des élèves.

Des guides pédagogiques
Le multimédia dit « éducatif », mais initialement produit de consommation grand public et donc destiné en priorité à un usage familial, peut-il prétendre entrer à l’école, et pas seulement pour y avoir une place de divertissement et occupationnelle, mais pour y être reconnu dans une fonction pédagogique c’est-à-dire pour contribuer à la réalisation des apprentissages des élèves ? La légitimité d’un tel projet ne va pas de soi. Et n’est certes pas acceptée spontanément par la majorité des enseignants. Il doit donc faire l’objet d’une recherche de fondements. A quoi s’ajoute la nécessité de montrer quelles en sont les conditions de réalisation concrètes. Les guides édités par Dada Media montrent comment un producteur de programmes envisage ces deux directions de son point de vue propre, qui n’est ni celui des chercheurs en pédagogie, ni celui même des enseignants. Certes, un non-enseignant doit, pour être crédible quand il s’adresse aux acteurs de l’école, adopter une posture la plus conforme possible à l’image la plus courante du pédagogue d’aujourd’hui, soucieux à la fois de l’intérêt de l’élève et de l’efficacité des situations d’apprentissage qu’il lui propose. Mais en tant que producteur, il est inévitable qu’il inscrive son intervention dans le cadre du postulat général de l’existence d’une fonction cognitive des programmes multimédia en général, et des siens en particulier. Il ne s’agit donc aucunement de démontrer l’existence d’une telle fonction, ni même de la définir. Pourtant, il n’est pas niable que l’ensemble des propositions pédagogiques que ces guides développent contribue à rendre visible une telle fonction, et même à la rendre crédible.

Les éditeurs de produits multimédias essaient le plus souvent de trouver une légitimité institutionnelle à l’utilisation du multimédia en classe dans la conformité de leurs contenus aux programmes officiels de l’Éducation nationale. Tentative qui n’est pas sans danger, vu le renouvellement relativement rapide des dits programmes. Pour éviter cet écueil, et aussi sans doute pour ne pas se restreindre au seul champ strictement scolaire, les guides proposent un « sommaire thématique » dont les rubriques ne reprennent pas la terminologie des programmes officiels (ceux de 2002 étant actuellement la référence). On y trouve à la fois des disciplines scolaires (géométrie, mathématiques), des domaines d’activité renvoyant aussi prioritairement à l’école (arts plastiques, langage), mais dont on ne peut pas dire qu’ils lui soient exclusifs (univers sonore, ouverture sur le monde, corps et mouvement), et même une rubrique générique (techniques et savoir-faire) un peu fourre-tout qui mélange la « maîtrise du geste », la « manipulation multimédia » et le « travail artistique ». La visée est ici de fournir à l’utilisateur des repères, sous forme de « pistes éducatives », qui ne puissent surtout pas être perçus comme une restriction de son initiative, mais qui orientent son action et sont autant de points de départ possibles pour construire une progression cohérente d’activités inscrites dans la durée. Pas d’objectifs pédagogiques donc - ces guides ne peuvent pas être suspectés de vouloir copier les manuels scolaires - pas de formulation de compétences non plus. Il ne s’agit pas d’initier une didactisation d’œuvres non scolaires. Ce travail, indispensable pour éviter que le multimédia ne devienne un simple moyen d’occuper les enfants, reste à faire pour l’enseignant soucieux d’inscrire le recours à cet outil dans une perspective d’apprentissage. On ne peut cependant guère reprocher à ces guides de ne pas se situer à ce niveau qui requiert une technicité professionnelle peu accessible en dehors de la classe.
Dans ce contexte, les activités proposées (à titre de pistes, jamais de façon impérative) sont de trois ordres.
D’abord des activités ponctuelles, qui se mettent en place sans avoie recours à l’ordinateur et donc au cédérom, mais qui en reprennent une des données ou un contenu particulier. Le cédérom, dont il faut bien que les enfants aient déjà effectué une première découverte, est alors l’occasion, le point de départ motivant sans doute, pour mettre en place une activité utilisant d‘autres supports et s’organisant dans une situation qui ne doit plus rien au multimédia. Prenons comme exemple le guide consacré à Minuit Fantôme. Le premier écran situe le visiteur devant la porte d’entrée du château dans lequel il s’agira d’entrer. Et voilà l’occasion de travailler sur l’adresse d’une maison, les informations qui permettent de la situer et ces lettres que l’on reçoit par la poste et qu’on trouve dans une boite comme celle qui s’agite sur l’écran de l’ordinateur. La porte d’entrée des fantômes permet alors tous ces détours et sans doute bien d’autres, au grès d’une logique qui sera bien souvent plutôt celle de l’adulte que celle des enfants. Mais à l’école il y a nécessairement des contraintes et l’essentiel est peut-être qu’elles ne soient pas ressenties comme insupportables par les élèves. Ici puisqu’on parle de lettre, l’occasion est trop belle pour ne pas entreprendre une activité de production d’écrit, au cycles 2 et 3 essentiellement, même si avec les plus petits on peut pratiquer une dictée à l’adulte. Si alors on a là le point de départ d’une correspondance authentique, alors pourquoi ne pas utiliser le courrier électronique, et on retrouvera alors l’usage de l’ordinateur, dans une autre fonction que celle dont on était parti. L’essentiel dans tout ce cheminement étant au fond que les enfants en suivent la cohérence.
Le deuxième type d’activités que l’on trouve dans les guides s’inscrive dans le droit fil du précédent. Puisque le thème du cédérom est les fantômes (ou le théâtre pour le Théâtre de Minuit) voilà qui fourni le point de départ d’un projet global, l’univers des fantômes en l’occurrence, qui trouvera de multiples modalités d’expression, orales et écrites et qui permettra une exploration approfondie de l’imaginaire qui lui est associé.
Enfin, et c’est là de toute évidence le plus intéressant, il s’agit d’inscrire les activités de classe dans la pratique du multimédia elle-même. Pas facile au demeurant car les conditions matérielles des écoles sont évidemment bien différentes les unes des autres, en fonction du nombre d’ordinateurs disponibles en particulier. Mais justement, un des grands intérêts de ce qui nous est proposé ici est de jouer sur l’alternance des moments nécessitant le recours au visionnement du programme et le recours à d’autres supports qui s’inscrivent alors le cadre d’un traitement des données qui en sont issues. Ainsi le guide de Minuit Fantôme, pour en rester à lui, propose tout un ensemble de situations où il s’agit d’étudier le plan du château, de repérer des parcours possibles dans ses différents espaces ou dans son environnement extérieur. De même l’étude de la séquence du voyage des fantômes permet d’étudier comment elle est réalisée graphiquement, ce qui débouche sur la fabrication d’un effet cinématographie concernant la façon de rendre le déplacement d’un mobile dans un décor.
Les situations de formation des enfants de l’école primaire aux langages audiovisuels et maintenant multimédias ne sont pas toujours faciles à mettre en place par les enseignants. Ce n’est pas un des moindres intérêts des guides Dada Média que de montrer que c’est tout à fait possible et de fournir des moyens simples de réalisation.

Jean Pierre Carrier

Mise en ligne le 2 mai 2006
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