Textes repères et études >> Textes repères

Exit le professeur, place au « multimédiateur » ?

« Enseigner avec les technologies de l’information et de la communication : un autre métier ? ». Tel était le thème de l’une des rencontres du dernier salon de l’éducation. Christian Gautellier, rédacteur en chef de Zapp ! comptait parmi les intervenants. Par « autre métier », les organisateurs entendaient, bien sûr, évolution pédagogique. Mais les débats ont fait émerger une interprétation inattendue de cet intitulé : plusieurs enseignants ont en effet exprimé leur souhait de voir se créer, dans chaque établissement, un poste de technicien informatique.

« Qui a peur du grand méchant ordinateur ? », semblaient s’interroger les intervenants à la tribune. « C’est pas nous, c’est pas nous ! », semblait répondre un public composé, pour l’essentiel, d’enseignants, de formateurs et de documentalistes.
Au terme d’une heure et demie de discussions, les enseignants présents (qu’il faut certes considérer comme parmi les plus réceptifs aux nouvelles technologies) paraissaient moins réticents qu’on ne l’imagine parfois à se lancer dans l’aventure du multimédia et à faire évoluer leurs pratiques. Tous insistaient, en revanche, sur les nombreuses difficultés techniques auxquelles ils se trouvent régulièrement confrontés. Formation, matériel et maintenance : ces trois éléments indispensables à la mise en place des nouvelles technologies dans les établissements scolaires sont pourtant rarement réunis. « Or si l’un de ces ingrédients vient à manquer, a déclaré un enseignant documentaliste de l’académie de Clermont-Ferrand, le tripode reste bancal. Et alors plus question de pédagogie sophistiquée ! On doit se contenter de faire du bricolage... »

Un soutien technique indispensable

Aussi les débats ont-ils peu à peu fait émerger une interprétation inattendue du thème de la rencontre. Bien sûr, les enseignants sont appelés à réfléchir à leur nouveau statut : ils ne représentent plus, et loin s’en faut, la source d’information principale de leurs élèves. Bien sûr, la présence des ordinateurs dans la classe transforme, de fait, le professeur en « médiateur » ou en « ingénieur du savoir ». Mais quel que soit le nom que l’on donne à cet enseignant du futur, il est un « autre métier » qui émerge parallèlement au sien : celui du technicien capable, dans chaque école, de régler les aléas quotidiens du matériel informatique. En outre, certains enseignants ont tenu à mettre l’accent sur l’inégalité qui caractérise l’équipement informatique d’un établissement à l’autre : ce sont souvent les collectivités locales qui attribuent les subventions nécessaires à l’achat du matériel. Parmi les six intervenants invités à s’exprimer à la tribune, Christian Janin, secrétaire fédéral du Sgen-CFDT, estime clairement que « la maintenance informatique et l’administration des réseaux nécessiteraient la création de nouveaux emplois dans le cadre de l’Éducation nationale ». « Oui, mais ne nous arrêtons pas à des questions d’intendance ! Ce type d’évolution réclame avant tout l’engagement de francs-tireurs. », a répondu Jean-Georges Helm. Cet instituteur de Strasbourg, effectivement franc-tireur en matière de TICE (technologies de l’information, de la communication et de l’éducation), a tenu à ramener le débat sur le terrain pédagogique. Selon lui l’ordinateur fonctionne comme une fenêtre ouverte sur le reste du monde : « il offre aux enfants la possibilité d’entrer en contact avec des correspondants lointains et les amène, confrontés aux différences, à respecter davantage les autres. Le travail sur ordinateur invite, par ailleurs, les élèves à la stimulation mutuelle. Dans ces conditions, l’enseignant se présente de moins en moins comme le détenteur du savoir, mais, comme l’a dit Patrick Mendelsohn, professeur à l’université de Genève, « mieux vaut savoir tout chercher que chercher à tout savoir ».

« Mieux vaut savoir tout chercher que chercher à tout savoir »

Odile Chenevez, formatrice TICE au Comité de liaison de l’enseignement et des moyens d’information (Clemi), a elle aussi tenu à souligner que l’internet constitue non seulement une formidable source d’information, mais aussi un moyen de communication efficace entre élèves et professeurs. « Désormais, le rôle de l’enseignant consiste notamment à problématiser l’internet avec les élèves. Il faut les amener à formuler les questions fondamentales que pose le réseau : fiabilité des informations, censure, éthique et nouvelles formes de citoyenneté ». Marie-Christine Ferrandon, du Centre national de documentation pédagogique (CNDP) a, quant à elle, rappelé que « les TICE et la pédagogie active ne sont pas, contrairement à ce que l’on pense souvent, nécessairement associées. Certains cédéroms laissent en réalité l’utilisateur dans une position passive ». Christian Gautellier, directeur de la communication et des publications des Ceméa, est intervenu dans le même sens : « Il faut se garder du fatalisme qui consiste à penser que les nouvelles technologies impliquent un changement radical du métier d’enseignant. Certains abordent les TICE avec enthousiasme, d’autres rechignent à s’y mettre. Mais le débat ne doit pas se réduire à cela. Il ne faut pas faire l’économie d’une réflexion pédagogique. Les TICE offre incontestablement des potentialités très intéressantes. Mais attention à ne pas penser qu’elles suffisent à modifier les méthodes. Si, effectivement, on profite de l’utilisation des nouvelles technologies pour repenser le métier d’enseignant, il faut également revoir la gestion du temps scolaire, faire évoluer l’architecture des espaces d’apprentissage et prévoir le travail en équipe. Un tel bouleversement suppose une véritable volonté politique ».
« L’enseignement via Internet est en plein développement, explique Martine Vidal, conseillère pour les nouvelles technologies au Centre national d’enseignement à distance (Cned). Nous envisageons d’ailleurs la mise en œuvre d’un véritable campus électronique : un espace numérique où les étudiants pourront se rencontrer, échanger leurs expériences et, grâce aux liens hypertextes, dépasser le cadre strict du cours. Cela dit, précise-t-elle, nous intervenons dans plus de 200 pays et tous les usagers du Cned ne sont pas encore dotés du matériel nécessaire ».
« Il est vrai, conclut Christian Gautellier, qu’il ne faut pas se précipiter sans réfléchir dans les nouvelles technologies : l’investissement matériel ne doit pas se faire au détriment des investissements humains ».

Emmanuelle Ehrmann

Article paru dans la revue Zapp, n°25, avril-mai 2000.

Mise en ligne le 7 juin 2006
Retour Haut de page

RECHERCHE

  • Recherche avec Spip


>> Faire une recherche Qwant

  • Ressources des Ceméa : Activités autour des médias et du numérique et l’Univers Comprendre : Médias, numérique, éducation et citoyenneté
  • (...) Voir le site

site du festival d'Éducation
Site du festival du film d'Éducation

EVENEMENT
  • • Les clés des médias, une série de programmes courts pour comprendre les médias
    11 décembre 2018

  • • Les Ceméa sont associés à France-Fraternités
    12 décembre 2018

  • • Résultats de l’enquête 2018 de l’oservatoire des pratiques numériques de jeunes en Normandie
    24 janvier 2019

  • DERNIERS ARTICLES
    Follow cemeaeejm on Twitter
  • • Faire le numérique avec tous !
    15 décembre 2021

  • • Vie privée : Où sont les régulateurs ? Où sont les régulations ?
    23 décembre 2020

  • • Intelligence artificielle : des limites de l’éthique aux promesses de la régulation
    11 décembre 2020

  • • Attention et société
    11 décembre 2020

  • • Journée d’étude : Education au monde numérique et RGPD
    27 novembre 2020

  • • Présentation des ressources éducation aux médias des Ceméa
    17 septembre 2020

  • • RESOLU, un guide pour des pratiques éthiques du numérique
    30 juin 2020

  • • Stopcovid l’appli de trop !
    24 avril 2020

  • • Le rapport annuel 2020 de l’ODI est paru !
    20 avril 2020

  • • Et si c’était le moment de libérer vos outils...
    23 mars 2020

  • • Construire des politiques publiques cohérentes pour la petite enfance et renforcer l’offre d’activités alternatives aux écrans, gratuites et sécures
    22 novembre 2019

  • • Résultats d’une étude sur les relations affectives des adolescents et les réseaux socio-numériques
    31 octobre 2019

  • • Dénonciation d’une initiative cynique, « mes-allocs.fr »
    9 septembre 2019

  • • Oui à un Conseil de déontologie journalistique et de médiation, non à un Conseil de l’ordre !
    27 juin 2019

  • • Le Conseil de déontologie journalistique et de médiation en bonne voie
    18 juin 2019

  • • Le film L’heure de la sortie, Prix Jean Renoir des lycéens 2019
    12 mai 2019

  • • Le Collectif Enjeux e-médias réagit à l’appel des 3 académies sur l’enfant, l’adolescent, la famille et les écrans
    26 avril 2019

  • • Etre citoyen dans la société numérique
    5 avril 2019

  • • Le rapport annuel 2019 de l’Observatoire de la déontologie de l’information
    27 mars 2019

  • • Le guide numéro 2 de La famille tout écran, une nouvelle édition !
    27 février 2019

  • • Combattre les préjugés sur les réseaux sociaux
    25 février 2019

  • • Ce qu’est un Conseil de presse !
    18 février 2019