Une situation pédagogique potentiellement innovante

Au niveau documentaire, les TIC ont permis d’optimiser la gestion, la recherche et les temps d’accès à l’information. D’autre part, au niveau institutionnel, le CDI entre autre permettait d’expérimenter des situations pédagogiques innovantes dans un espace identifié de tous, sans toutefois modifier en profondeur l’organisation des enseignements dans les établissements.
Toutefois, l’implantation des TIC dans les CDI fut disparate allant du poste unique réservé au professeur-documentaliste jusqu’au véritable réseau associant plusieurs postes multimédias, tous connectés à internet et proposés en libre-service à l’ensemble des membres de la communauté éducative.
Outre le niveau technique, sur le plan pédagogique, leur utilisation varie de la seule mise à disposition de TIC sans projet, sans suivi de l’élève, sans réflexion-formation à la méthodologie de l’information, à la mise en place de travaux interdisciplinaires, répartis sur l’année scolaire, pour une part menés en dehors de la structure “ classe ” et surtout axés sur le projet de l’élève, avec réécriture de l’information sélectionnée. Cependant, de cette disparité de dispositifs techniques et de pratiques d’un CDI à l’autre, nous sommes en mesure de dégager quatre types d’apprentissage, associant la recherche de documentation aux nouveaux supports et aux TIC et révélant des choix d’éducation-formation nouveaux.

L’apprentissage par le droit à l’errance

Le CDI est, à ce jour, le seul endroit de l’établissement regroupant des moyens de travailler et de se cultiver avec des documents attractifs, sous la responsabilité d’un professeur-documentaliste qui instaure une relation fondée sur la confiance, le conseil et l’accompagnement, et qui offre une certaine forme de liberté dégagée des programmes scolaires et de l’obligation d’évaluer systématiquement les travaux de l’élève.
Un ensemble de productions éditoriales est mis à disposition dans un esprit de libre découverte, où l’enfant chemine à son gré afin de prendre connaissance et d’explorer à son rythme, en fonction de ses centres d’intérêt, certaines productions multimédias.
L’explosion des titres sur le marché a permis de révéler des productions de qualité, aux contenus validés par des experts, ouvrant notamment à la culture sous de nouvelles formes de mise en scène et rendant “ actif ” le lecteur. Des titres comme Le Louvre, Napoléon-Bonaparte, La seconde Guerre mondiale, Alexandre Dumas, un aventurier de génie... sont autant de documents pour favoriser le “ bain culturel ” (1) permettant la découverte et la familiarisation à l’outil en fonction des projets individuels de recherche.
En contrepartie, bon nombre de professeurs-documentalistes n’ayant développé que ce type de dispositif d’usage en CDI dénoncent une absence de structuration de l’élève face à d’éventuels projets de recherche, la difficulté à transposer certains automatismes acquis, lors de situations de recherche structurée, et enfin, l’appréhension de noyer l’élève sous un flot d’informations sans véritable lien les unes avec les autres.

L’apprentissage renforcé par de nouveaux dispositifs de soutien individualisé

De nombreuses applications multimédias permettent aux enseignants de proposer, notamment au CDI, un environnement souple et complémentaire de soutien afin de renforcer certaines notions abordées en cours, de confronter les acquisitions de l’élève à la machine ou de transposer des acquis à des situations nouvelles découvertes en autonomie.
Trois domaines prédominent actuellement en CDI, dans les dispositifs de soutien :
 Le soutien à la maîtrise des techniques de lecture et de compréhension de textes, avec notamment le cédérom Elsa de l’Association française pour la lecture. Un ensemble d’exercices de lecture et de compréhension sont offerts à l’élève, avec la possibilité de s’auto-évaluer en travaillant sur des textes parfois déjà connus de lui.
 Le renforcement des apprentissages en langues vivantes, grâce à une palette variée de situations mettant l’accent sur des situations projectives de communication (collection LTV des éditions Jériko), le contrôle de connaissances, l’acquisition de vocabulaire, le travail sur QCM (les productions Echolangues Labo), la prononciation, la confrontation des accents (les productions Voice book). Des CDI mettent à disposition ces titres au choix des linguistes, afin de permettre à chacun des élèves de confronter son propre savoir linguistique aux situations proposées par les divers logiciels.
Enfin, on assiste à une véritable explosion des titres de produits grands publics (pour s’entraîner et systématiser des acquis scolaires), de qualité souvent bien inégale et révélant un repositionnement partiel des savoirs face à ceux proposés par l’école. Des collections complètes sont disponibles en CDI, classées par niveau et discipline, telles que les collections “ Graines de génie ” ou “ Je passe mon bac ”.

L’apprentissage par la recherche informatisée d’information documentaire

La démonstration a déjà été faite de l’efficacité et de l’intérêt de mener des élèves à des projets de recherches documentaires informatisées, afin d’accroître notamment leur motivation, d’associer la maîtrise d’outils informatiques à la recherche d’informations précises, et enfin, d’améliorer les performances en lecture.
Le logiciel documentaire est, par définition, l’outil de rencontre du livre et plus largement des documents.
En effet, il donne à chacun une représentation précise du fonds documentaire avant de se confronter aux documents physiques. Sur ce point, nous mesurons la différence fondamentale avec l’internet.
De plus, le logiciel documentaire force l’élève à rationaliser et formaliser la recherche par le biais notamment d’équations de recherche ou de sélection de champs d’interrogation.
A contrario, sur ce dernier point, la logique et le soucis de formulation de ses requêtes sont similaires entre un logiciel documentaire et un moteur de recherche d’internet . Or, face à la croissance des fonds documentaires et des gisements d’informations, l’une des obligations de la formation du citoyen “ éclairé ” sera d’offrir l’autonomie par la maîtrise des outils documentaires face à un projet de fourniture d’informations : disciplinaires, culturelles, orientation...

L‘apprentissage par l’éducation aux médias

Les professeurs-documentalistes amorcent des projets fondés sur l’analyse critique et comparative des médias de masse en partenariat avec les professeurs, d’autant que les programmes (notamment de 6e) inscrivent l’obligation d’apprendre à l’élève à lire et à critiquer l’image (en lettres, histoire-géographie, sciences et arts plastiques, en particulier).
Trois médias sont actuellement au centre de la pédagogie documentaire, à savoir, la télévision, la presse et internet.
De multiples productions éditoriales, comme des articles de revues spécialisées, des fichiers, des recueils méthodologiques sont d’ailleurs là pour attester de cette dynamique.
Quatre explications peuvent nous permettre de comprendre pourquoi :
 Sous leur forme spécifique, ces médias détiennent un ensemble
de messages, qu’il est nécessaire d’apprendre à décoder, tant sur le plan scripturaire, qu’iconographique, et sonore, pour construire du savoir et des compétences transversales chez l’élève.
 Dans leur organisation et leurs informations, ils sont à considérer comme des ressources documentaires en soi, apportant une ensemble de données utiles, qu’il faudra apprendre à trouver, à sélectionner et à intégrer.
 Pour la presse, pour la télévision ou internet, ces médias constituent des sources de culture et de formation des représentations mentales des jeunes citoyens, évoluant parallèlement à ce que propose l’école.
Enfin, on assiste peu à peu à un glissement des savoirs vers les médias proposés jusqu’alors exclusivement par l’école. Or, le CDI et le professeur-documentaliste peuvent jouer ce rôle de pivot dans un dispositif interdisciplinaire qui vise l’acquisition chez l’élève de véritables compétences transversales.
La question en CDI n’est plus d’opposer les sources, les médias, le document multimédia au support papier, mais de les associer, de les confronter, de les intégrer, d’évaluer les qualités des sources et de traitement et donc de savoir les faire cohabiter grâce à des projets transdisciplinaires et sans préjugé.

Le rôle de l’enseignant

Pour réussir, le professeur-documentaliste doit devenir un agent d’expertise des contenus (en association avec les enseignants de discipline concernés) afin de faire des choix d’acquisition cohérents en fonction de projets pédagogiques et des fonds traditionnels déjà existants.
Le dispositif pédagogique latent, outre le fait qu’il implique l’ensemble des acteurs pédagogiques de l’établissement, reposera principalement sur deux fondements documentaires. D’une part, apprendre à l’élève à lire le document multimédia, en créant diverses situations pédagogiques avec des productions de l’édition électronique.
Ceci consiste à repérer les différentes informations, à dissocier celles qui sont immuables de celles qui sont transférables d’une production à l’autre (environnement ergonomique notamment), à apprendre à construire un réseau de relations d’indices à l’intérieur de textes électroniques, et à se représenter les informations qui s’offrent à l’élève “ immatériellement ”.
D’autre part, cela permet à l’élève d’apprendre à écrire, voire à réécrire de l’information, en fonction de celles qu’il a glanées çà et là, sous diverses formes, traditionnelles ou électroniques, en fonction de publics destinataires identifiés : élèves d’une même classe, élèves d’autres classes ou écoles... On ne peut que souhaiter, au et en dehors du CDI, la mise en place de formations “ transdocumentaires ” (2) visant à donner à l’élève des compétences en lecture qui lui permettront d’en faire usage quels que soient les types de documents auxquels il doit faire face, tant dans l’espace scolaire, que personnel, familial et plus tard professionnel, tout en lui donnant les moyens de trouver des contenus informationnels et de savoir les comparer, les sélectionner.
Le professeur-documentaliste pourrait être au centre de ces médiations, en instaurant un ensemble de dispositifs facilitant de tels apprentissages, comme des “ points-découverte ” de titres électroniques au CDI, des situations ludiques de recherche d’information et de confrontation des résultats, des exercices d’identification des cheminements possibles pour trouver une information, tout en laissant à chaque élève une grande part d’initiative.

Vincent Liquète, documentaliste-formateur et chargé de mission TIC à l’IUFM d’Aquitaine.

Article paru dans Vers l’Education Nouvelle des Ceméa, n°487, Novembre 1998

notes
1 - Cette logique est commune aux CDI et aux bibliothèques publiques municipales.
2 - Concept emprunté à Claude Morizio, extrait d’une communication à la conférence de l’IFLA (Amsterdam 1998), intitulée : “ Lecture et documents électroniques ”.