Les outils nouveaux s’utilisent comme les autres et en complémentarité des autres, à l’intérieur d’options éducatives prises par l’enseignant. Internet peut tout aussi bien être au service du développement de l’autonomie des personnes qu’au service du développement de leur dépendance, tout comme le stylo-bille ! Il en est de même pour l’axe socialisation/égocentrisme : communiquer par fax, par télématique ou par internet peut autant déclencher un repli sur soi que des envies de rencontres physiques.
L’aspect technique d’outils nouveaux peut constituer un obstacle (ou un alibi !). Pourtant, son usage, chaque utilisateur vous le confirmera, oblige à une démarche de type recherche/action, hypothèse/vérification, tâtonnement expérimental/dégagement de savoir-faire, typique des pratiques d’éducation nouvelle. De plus, ces outils sont de plus en plus configurés par les constructeurs pour que des néophytes s’en sortent. Le groupe mettra un ordre à ce désordre de la vie qui nous arrive, avec l’aide du maître. L’éducation nouvelle passe rarement par un emploi du temps et un programme rigide !

8 h 30
Adrien, CE2, arrive.
Normalement, l’école commence à 9 heures. Mais il sait qu’elle sera ouverte. Nous sommes dans la Vienne et dans une classe unique de vingt-six enfants, de la maternelle au CM2.
“ Les messages sont-ils relevés ? ” me demande-t-il. Je lui réponds que je viens de le faire. Il s’installe alors tranquillement dans le coin réseau et commence à les lire.
La classe a une boîte aux lettres internet depuis trois ans et elle est connectée à un réseau national sur le 3614 du minitel code Marelle depuis quinze ans. Ce réseau comporte environ deux cents classes réparties sur le territoire national. Des correspondances soit de classe à classe, soit de classe à liste de diffusion (la liste des classes de la Vienne, de celles qui font un jardin...), soit de classe à réseau (toutes les classes présentes sur Marelle) s’y font. Elles peuvent être de l’ordre de l’échange d’informations, d’idées, de sentiments, de savoirs. La plupart de ces classes sont devenues possesseurs d’un télécopieur, tout comme en ce moment, elles s’installent sur internet à l’adresse http://www.educ-envir.com/Marelle.
Adrien a terminé sa lecture. Il a relevé un message qu’il juge important. Il vient de Longechenal dans l’Isère. Chez eux, ils ont de la neige jusqu’aux genoux et il fait -1 degré alors que chez nous, il fait -8, et il ne neige pas ! Adrien décide d’en parler en réunion de classe et l’inscrit sur le tableau d’ordre du jour.

10 h15
La réunion de classe commence. C’est Maxime qui anime cette semaine. Adrien parle du message de Longechenal qu’il a lu ce matin. Cloé demande combien ça fait de neige en centimètres... Tiphaine se charge du relevé... Lénaïc se souvient qu’on avait parlé l’an dernier de vieilles mesures de longueurs, des coudes, des pieds. Elle se demande si le genou n’est pas aussi une ancienne mesure. Il faudrait peut-être faire d’abord cette recherche avant de les recontacter. Elle s’en charge. Pour la neige, Matthieu émet l’idée que la température n’est peut-être pas le seul facteur de chutes de neige. Si Longechenal fait comme nous des relevés météo, on pourrait les comparer. Je charge Matthieu de s’occuper de ça. Nous enverrons notre courbe de température du mois par fax, il faudra aussi envoyer nos autres courbes, par courrier pour que Longechenal puisse en voir les couleurs et mieux différencier les différentes courbes graphiques. Et si on proposait à toutes les classes Marelle qui font des relevés la création d’une liste de diffusion “ relevés météo ” ; on la gérerait à la Puye... On reverra ma proposition plus tard.

10 h 30
La réunion est terminée. Chacun part sur son travail. Je travaille avec les CP, une demi-heure. Lénaïc est partie sur sa recherche. Il va falloir l’aiguiller. Elle feuillette les livres d’histoires page à page ! Je fais un saut pour lui rappeler de consulter une affiche qui s’appelle “ où chercher quoi ? ” pour gagner du temps. Plus tard, je la verrai consulter des cédéroms encyclopédiques, quel-ques sites web, un dictionnaire, les sommaires des différents manuels... puis noter quelque chose sur le tableau d’ordre du jour des réunions de classe. Mikaël est en grande conversation téléphonique ; il est prévu avec les petits de Persac et de Luchapt une réunion téléphonique de 11h 30 à 12 heures pour choisir les jeux de notre prochaine rencontre.

11h30
Un fax arrive. L’en-tête porte un dessin de père Noël. L’adresse est : “ Père Noël, rue des nuages, 3e ciel ” suivi d’un numéro de fax. Mikaël lit
le fax aux petits. Ils arrêtent tout, crient, s’agitent. Le calme à peu près revenu, il est convenu qu’on va lui écrire... Mais, pour le moment, tous ceux qui savent écrire sont indisponibles. Ils me dictent ce qu’ils veulent dire sur une grande feuille, ensuite ils se débrouilleront pour recopier le modèle sur le formulaire fax habituel et pour l’envoyer. Ils ont l’habitude de cet engin qui leur permet d’accompagner leur apprentissage au fil des ans, de l’écrit du dessin au dessin commenté, puis du texte illustré au texte tout court. Ils ont juste à appuyer sur le bouton 1 pour envoyer à Luchapt, sur le 2 pour Millac, etc. Pour le père Noël, ce sera le bouton 8. En cinq minutes, l’affaire est réglée ! Cinq autres minutes après, le fax sonne, une volée de drôles s’agglutinent autour. Super, il y a le dessin du père Noël, il nous répond. Mais qu’est-ce qu’il dit ? “ Je ne suis pas arrivé à lire ce que vous m’avez écrit. Signé : Père Noël. ” Déception. Nous regardons ce qui ne va pas pour le réécrire, pour que le père Noël puisse lire et répondre. On réécrit, on réenvoie, on réattend, on rereçoit ! Cette fois, c’est bon. On a les réponses et d’autres questions auxquelles on va répondre. Pendant ce temps, Mikaël et Laura fabriquent en douce un fax au père Noël pour l’envoyer au plus vite aux petits de Moussac. Ils en sont à la grille de correction de texte et ne vont pas tarder à venir me voir pour les ultimes corrections. Ces envois croisés jusqu’aux vacances de Noël ont contribué largement à la réussite des apprentissages de lecture des petits de maternelle.

14 heures
De nouveau en réunion de classe, Lénaïc n’est pas arrivée à trouver les différentes vieilles mesures de longueur. Je suggère qu’on cherche un groupe de news sur internet pour poser la question. Joachim se souvient avoir obtenu l’an dernier, des réponses grâce à un groupe news “ sciences divers ”. Des décisions se prennent. Le partage des tâches se fait plutôt bien aujourd’hui. Il y a suffisamment d’articles et de travaux affichés sur le tableau “ journal papier en cours ” pour qu’une équipe se charge de sa maquette. Jérôme, David et Eve se portent volontaires. Emmeline lit un message arrivé dans la boîte internet de Luchapt qui nous demande de présenter tous les enfants de la classe. Mikaël se souvient que Villiers-le-Mahieu nous avait envoyé par internet leurs photos associées à leurs voix. On pourrait en faire autant. Tout le monde est emballé. On demande à Villiers-le-Mahieu comment ils ont fait, techniquement. Angélique informe la classe qu’on a reçu un album de Persac en couleurs ce matin. Si on faisait aussi un journal trimestriel avec des couleurs, on irait le vendre dans le village au profit de la coopérative scolaire, afin de pouvoir partir en classe de mer. Mais comment faire ? Maxime me donne la parole et j’explique que Persac a utilisé la linogravure et le stencil à alcool. Je propose qu’on inscrive cela sur le plan collectif. Chacun repart dans son activité.

16 heures
Chacun raconte, se raconte. J’ai ainsi une bonne vision de l’ensemble et de chacun. Demain, il faudra qu’on parle du journal audio. Luc, passionné par les oiseaux a amené une cassette de chants d’oiseaux. Il aimerait bien que l’équipe qui confectionne le journal audio mette une rubrique “ chants d’oiseaux de notre cour ”, juste après la rubrique “ chansons ”. On verrait ainsi si les écoles de nos correspondants ont les mêmes oiseaux que nous. Il faudra parler de notre film vidéo. Clément et Nathanaël arrivent à dérusher nos prises de vue mais ne réussissent pas
à insérer les commentaires, la musique, les titrages. Les huit écoles du réseau Vienne-Gartempe sont équipées de la même manière. Peut-être d’autres savent-ils le faire ?
Demain, il faudra parler d’émissions télé, travailler sur les ateliers de mathématiques et de grammaire, demain... On clôt ici, demain sera un nouveau jour ordinaire de classe.

Frédéric Gautreau , enseignant.

Article paru dans Vers l’Education Nouvelle des Ceméa, n°487, Novembre 1998