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S’informer et communiquer
Jean Pierre Carrier

Même si elles ne sont pas explicitement destinées à un usage strictement scolaire, les ressources multimédias actuelles semblent bénéficier d’une position favorable quant à la possibilité de les introduire à l’école pour en faire des outils d’apprentissage. Certes, tous les problèmes éthiques et juridiques concernant en particulier les réseaux sont loin d’être résolus, mais explorer un cédérom ou se connecter à internet en classe ne soulève pas les résistances morales ou politiques qui accompagnèrent la perspective d’introduire la presse écrite à l’école. Et s’il n’est pas encore un outil entièrement maîtrisé par la totalité des enseignants, l’ordinateur est loin de soulever les passions ou de provoquer la méfiance et le rejet dont fut l’objet la télévision lorsqu’il fut évident qu’elle était devenue le facteur dominant de la vie culturelle des élèves.

Pourtant, explorer concrètement, dans les classes, les possibilités offertes aux élèves par les technologies multimédias pour réaliser des apprentissages reste encore de l’ordre de l’engagement militant, ne serait-ce que parce que les pratiques pédagogiques les concernant ne sont pas encore, loin de là, stabilisées.
Si nombre de ces explorateurs sont intimement convaincus des nombreuses possibilités d’efficacité et de nouveauté que recèlerait en soi le multimédia, il n’est guère besoin de mener de grandes recherches pour constater que son arrivée dans la classe n’est pas toujours synonyme de pédagogie nouvelle, et que bien souvent même, il peut simplement servir d’alibi, voire de parure moderniste, à des pratiques plus anciennes qu’on aurait pu croire à jamais disparues de l’école actuelle.
Reste que l’analyse du fonctionnement et des possibilités offertes par ces technologies, qu’on nomme de plus en plus fréquemment les technologies de l’information et de la communication, peut nous éclairer sur les conditions dans lesquelles elles peuvent effectivement participer à la réalisation d’apprentissages. Il se pourrait bien alors que la pédagogie la plus efficace, et aussi la plus nouvelle, soit celle qui réussisse à tirer partie de toutes les potentialités contenues dans ces nouveaux outils, et notamment de celles qui sont les plus étrangères aux pratiques traditionnelles, voire en rupture avec les principes qui les ont fondées.
C’est cette analyse des potentialités du multimédia “ pour apprendre ” que nous voudrions esquisser ici dans ces deux domaines aujourd’hui fondamentaux que sont l’information et la communication.

L’information...

Apprendre à s’informer apparaît aujourd’hui comme une nécessité première, dès l’école élémentaire. Le multimédia offre dans ce domaine des possibilités importantes de transformation des pratiques des élèves et peut ainsi avoir des répercussions non négligeables sur leurs apprentissages.
Les capacités actuelles de stockage des données permettent l’accès à des quantités impressionnantes d’informations que l’interconnexion des ordinateurs entre eux pousse jusqu’aux limites de l’infini. Un cédérom offre un contenu certes important (l’ensemble de l’Encyclopaedia universalis sur un seul disque), mais qui est clos et peut très vite se périmer. La liaison avec un site internet (1) permet des réactualisations et des ajouts complémentaires fréquents, ce qui montre bien aux élèves la nécessité impérieuse de tenir à jour ses connaissances.
Mais de tels sites peuvent aussi offrir des liens avec d’autres sites, d’autres sources d’information, qui pourront répondre de façon plus précise, plus spécialisée, aux besoins de l’utilisateur. L’information ne résidant plus dans une source unique, toute recherche implique une pratique de confrontation et de vérification. C’est la conception classique de la véracité qui est ainsi poussée dans ses derniers retranchements. Cependant, que toute information existante devienne virtuellement à portée de chacun, ne signifie rien si l’utilisateur ne sait pas tirer partie des possibilités multiples, et de plus en plus sophistiquées, qui lui sont offertes pour mener à bien ses recherches.
La multiplication importante des moteurs de recherche sur internet, la diversité des réponses qu’ils fournissent à une même requête, sans parler du nombre souvent délirant de ces réponses, montre bien l’ampleur des difficultés existantes dans ce domaine. Le hors-ligne, de son côté, propose de plus en plus d’innovations intéressantes en ce qui concerne les outils de recherche. S’informer implique donc d’abord d’identifier ces outils, de comprendre leur fonctionnement souvent très spécialisé, pour pouvoir ensuite le mettre en oeuvre de façon adéquate par rapport à la spécificité de la demande, à supposer que celle-ci soit bien sûr, suffisamment précise pour déboucher sur des réponses pertinentes.

Les outils de recherche

Les outils de recherche disponibles dans les encyclopédies (2) multimédia récentes fonctionnent selon trois principes qui conditionnent toutes les pratiques pédagogiques de l’information. D’abord un principe d’économie. Un cédérom, comme le dévédérom (DVD), sont des supports peu encombrants, facilement transportables, et avec un peu de pratique, aisément consultables, ce qui débouche sur des gains de temps appréciables.
En deuxième lieu, elles proposent toujours une multiplicité d’entrées et de moyens différents pour effectuer la même recherche (classement alphabétique, arborescence thématique, hypertextualité intégrale, chronologie, cartes, etc.) Ainsi, l’efficacité de la recherche dépendra non seulement de la précision de la question, mais aussi du choix préalable des modalités de la mettre en œuvre.
Et lorsqu’il ne s’agit plus seulement de trouver une information particulière (de type réponse à une question) mais de rassembler des données diversifiées pour les traiter ensuite, on comprendra tout l’intérêt d’avoir à sa disposition plusieurs outils dont les résultats respectifs pourront être complémentaires, servir de confirmation ou de rectification.
Enfin, un troisième principe pourrait être dénommé “ tendance à l’exhaustivité”. C’est sans doute le plus problématique du point de vue péda- gogique. Car si les dispositifs technologiques peuvent aujourd’hui fournir des informations en quantité de plus en plus importante et en diversité de plus en plus étendue, reste que la distinction classique entre information et connaissance retrouve ici toute son acuité. La pratique de l’information grâce au multimédia, que ce soit hors ligne ou en ligne, peut très bien aboutir à une simple accumulation de données disparates. La perspective de pouvoir avoir accès à “ tout le savoir du monde ” crée un vertige, auquel d’ailleurs bien des élèves savent spontanément résister. Il leur suffit pour cela de stopper la machine, d’en rester aux premières réponses, même si leur intérêt est limité. La solution à cette situation plutôt stérilisante se situe bien sûr du côté de la formation intellectuelle, de l’acquisition de démarches et du développement des compétences d’analyse et de réflexion. Beau paradoxe dont nous ferons volontiers le principe fondateur de tout usage pédagogique du multimédia : au moment où les technologies de l’information ne semblent aborder celle-ci que d’un point de vue strictement quantitatif, c’est en fait un retour à la nécessité de la méthode qu’elles opèrent.

Les pratiques de communication

Si le multimédia opère un bouleversement de fond des pratiques de communication sociale (3), pourquoi n’en serait-il pas de même à l’école ? Dans ce domaine, les perspectives sont nombreuses et plus diversifiées qu’il n’y paraît au premier abord.
La première utilisation possible, celle qui paraît sans doute la plus évidente, concerne le recours à la messagerie électronique dans les pratiques de correspondance scolaire. Disons tout de suite que de telles pratiques, malgré la nouveauté de l’outil, s’inscrivent nécessairement dans la ligne ouverte dès les années vingt par Célestin Freinet. De l’imprimerie au plomb à la machine à écrire, de la télématique à internet, il y a certes une importante mutation technologique, mais les objectifs restent les mêmes et ce sont toujours les mêmes compétences qui sont visées.
S’ouvrir au monde et aux autres, maîtrise de la langue, prise en compte du destinataire dans une pratique d’écriture, c’est bien toujours cela qui donne sens aux activités de correspondance. Par sa spécificité, la messagerie électronique peut cependant leur donner un nouvel élan. Pouvoir envoyer un message quasi instantanément à l’autre bout de la planète pour le prix d’une communication téléphonique locale est une prouesse technologique. Mais c’est la suppression des contraintes géographiques, temporelles et financières qui est une libération pour la pédagogie.
De même, la possibilité de réponse, qui peut être immédiate, la possibilité de joindre sous forme de fichier n’importe quel type de document, la possibilité d’envoyer copie de chaque message à un nombre important de correspondants, sont autant de fonctionnalités qui facilitent la communication, et lui donnent sa vraie signification de rencontre et de mise en commun.
Et quand les pratiques de forum et de groupes de discussions, sans parler de la visioconférence, deviendront plus fréquentes, on peut penser que la communication franchira une nouvelle étape dans la réalisation de ce que Pierre Lévy appelle l’intelligence collective (4). Il y a là une chance pour l’école de sortir enfin de son splendide isolement et de laisser derrière elle l’individualisme qui lui a été si souvent reproché.

Créer et visiter des pages web

Dans sa dimension pédagogique, la communication ne se limite pas à la correspondance. Les activités de production de documents, destinés à être diffusés, en constituent une part de plus en plus importante.
La nouveauté réside ici dans la création de pages web que beaucoup de classes commencent à prendre en charge de façon pédagogique, c’est-à-dire en dehors de tout effet de vitrine de type administratif.
La consultation de ces “ sites ”, souvent très rigoureux dans leur construction et très créatifs, permet de repérer les premières tendances de ce type de travail. Beaucoup de classes éprouvent d’abord le besoin de se présenter. D’où des descriptions, accompagnées d’images de l’école, du village (5) ou de la région dans laquelle elles se situent, des élèves et des enseignants. En second lieu, il paraît tout à fait naturel que soient mis en ligne les travaux, exposés, recherches diverses, réalisés par les élèves. La possibilité d’être “ visité ” par d’innombrables internautes répartis sur toute la planète impose alors une nécessité de clarté et de rigueur qu’on retrouve rarement dans d’autres travaux scolaires.
Troisième direction prise par certaines classes, la réalisation de véritables situations de communication, appelant échanges et dialogue. Demandes d’informations, jeux de questions-réponses, textes à compléter ou à poursuivre, etc. Si la dimension de motivation de toutes ces activités paraît bien évidente, leur sens profond nous semble résider dans la fonction de fédération de l’ensemble des apprentissages scolaires qui peut être la leur. Mettant en œuvre des compétences diversifiées mais complémentaires, la réalisation et la prise en charge du suivi d’un site pluridisciplinaire et multiforme, peut modifier la relation qu’entretiennent entre eux les apprentissages à l’école. C’est tout le vécu scolaire des élèves qui peut en être modifié, dans le sens d’une plus grande appropriation, personnelle et collective.

Changer la pédagogie ?

Grâce aux ressources du multimédia, information et communication nous semblent pouvoir prendre une place de plus en plus importante dans les apprentissages scolaires. La pédagogie en sera-t-elle changée ? Les pratiques que nous avons évoquées, les directions multiples et diverses qu’empruntent les enseignants et les élèves qui se lancent dans cette voie, nous permettent d’être raisonnablement optimistes. Si aucune technologie ne peut jamais d’elle-même transformer la réalité du système scolaire, les technologies de l’information et de la communication sont porteuses d’une chance nouvelle : celle de pouvoir confier réellement à tous les élèves la charge entière et la pleine responsabilité de leurs apprentissages.

Jean-Pierre Carrier, professeur et formateur à l’IUFM d’Aquitaine, antenne de Périgueux.

Article paru dans Vers l’Education Nouvelle des Ceméa, n°487, Novembre 1998

Notes
1 - Comme le propose la récente encyclopédie Hachette multimédia.
2 - Pour une première approche du fonctionnement et des ressources offertes par les encyclopédies multimédia, voir “ En feuilletant les écrans des encyclopédies multimédia ” in Apprendre avec le multimédia, où en est-on ? J. Crinon et Ch. Gautellier, Retz, 1997.
3 - Ph Wade et D Falcand, “ Cyberplanète, notre vie en temps virtuel ”, Autrement, n° 176, février 1998.
P. Lévy, Cyberculture, Rapport au conseil de l’Europe, Éditions Odile Jacob, 1997.
4 - P. Lévy, L’intelligence collective, Pour une anthropologie du cyberspace,
La Découverte, 1994.
5 - Il est significatif que beaucoup de ces sites scolaires soient l’œuvre de classes rurales. Internet est une réponse particulièrement pertinente aux problèmes d’isolement.

Mise en ligne le 6 juin 2006
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