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LA TECHNOLOGIE AU SERVICE DE L’ENFANT
Infirme Moteur Cérébral : UNE EVIDENCE A FACE CACHEE.

Observation de situations d’apprentissage et de leurs conséquences sur l’activité, le corps, la relation.
Par C. Charrière Ergothérapeute,
Service Dr Truscelli, Hôpital Bicêtre.

L’univers technologique nous propose une gamme d’outils infiniment adaptables dont nous ne saisissons encore que des potentialités. L’ergothérapeute détermine une ou des interfaces devant permettre à l’enfant infirme moteur cérébral de répondre aux exigences des projets pédagogiques élaborés pour lui. Il met en scène des éléments modulaires, matériels et humains. Ceux-ci saisissent l’intentionnalité de l’enfant, même s’il ne maîtrise qu’une modalité d’action unique. Puis, ils multiplient ses réponses dans une forme claire et attendue par son entourage grâce à des opérations de codage devant répondre à la diversité des situations. Proposer une configuration matérielle et un logiciel témoigne de nos hypothèses sur "comment cet enfant-là apprend" et "ce qu’il peut apprendre de juste accessible".
L’environnement et les conditions d’apprentissage ne modèlent pas seulement les conduites intellectuelles, mais le corps et la relation à l’autre, aux autres. L’adaptation suggérée à l’enfant doit être positive sur ces trois dimensions, sans hypothéquer l’une d’entre elles.

La technologie au service de la progression individuelle de l’enfant I.M.C., dans un projet collectif.

La recherche de l’interface la plus efficace dans une situation donnée réclame la réflexion de différents intervenants. En effet, l’ordinateur peut être considéré comme un traducteur. Il contient le code commun entre les capacités d’agir d’un sujet s’exerçant sur un de ses périphériques d’entrée : clavier, bouton-poussoir, souris... et une réalisation objectivable et attendue sur un périphérique de sortie : texte, dessin, sur écran ou imprimante, message émis par un synthétiseur de voix...
Cette construction résultante doit s’intégrer à une gamme d’activités, sous-tendue par une méthode, et s’inscrivant le plus souvent simultanément dans une progression individuelle et dans un projet collectif. Ce sont les buts recherchés.

L’enseignant apparaît un peu comme un chef d’orchestre qui serait contraint de réadapter, au jour le jour, les partitions de quelques “cacophones” sans trop savoir les sons qu’ils peuvent sortir de leurs complexes instruments. Quand bien même serait-il accordé, l’instrument ne crée pas le soliste. L’ergothérapeute n’y suffit pas non plus. Les mots-clés restent l’évaluation, et l’induction de lois d’apprentissage chez des enfants cérébro-lésés. Alors, la technologie sera véritablement au service de l’enfant I.M.C.

Les paramètres techniques indispensables de l’outil informatique.

Souvent, nous recherchons la machine qui conviendrait dans différentes situations.
Un outil de communication devra être portable par le sujet, embarquable, s’il s’agit d’un utilisateur de fauteuil. La qualité de la synthèse vocale sera prépondérante.

Une petite imprimante miniaturisée sera alors suffisante, voir inutile et encombrante : les paroles s’envolent... L’appareil devra fonctionner dehors, supportant un minimum de contraintes climatiques.

Pour la classe, l’environnement informatique comporte un écran suffisamment grand pour être vu de loin.
L’enfant gagne en confort visuel, tout en gérant davantage d’informations. La qualité de l’écrit, aussi bien du traitement de texte que de l’impression papier, supporte peu de tolérance.

Pour les enfants ayant des handicaps sévères de communication, un programme adapté doit être en permanence disponible durant toutes les activités. Pour un même enfant, les interfaces de communication diffèrent donc avec les situations rencontrées. A l’inverse du clavier figé d’une machine à écrire, l’accès au micro-ordinateur est virtuellement adaptable. Nous disposons d’un nombre restreint de choix avec lesquels il faut bien composer. Ainsi, il n’existe pas de choix dans la taille et la distribution des cases d’un mini-clavier. Lorsque nous optons pour un élément d’interface compatible avec le reste du matériel, il possède, outre les paramètres techniques qui ont conditionné le choix, d’autres caractères représentant des contraintes qu’il faut bien accepter : sensibilité à l’effleurement des touches, taille de l’écran, absence de caractères français, de gestion de la couleur, peu de logiciels pour l’entrée optimale de l’enfant, logiciel imposant une marque de périphériques...

Intégrer le progrès technologique ergonomiquement.

Ergothérapeutes et enseignants doivent préciser des besoins individuels, des cahiers des charges, connaître des réalités économiques et des fonctionnements de leurs établissements et se reposer sur de véritables structures d’informations, de formation et d’aide au choix de configurations technologiques.
Elles auraient vocation de ratisser très largement les informations et les expériences en situations, de vérifier et de catégoriser l’opportunité de tel ou tel matériel.
La connaissance des capacités fonctionnelles du sujet s’appuie sur l’évaluation factorielle de ses troubles et de ses potentialités.
Elle conditionne tout d’abord l’installation de l’enfant. Elle est primordiale, parce qu’il passe des heures dans son siège, et que le corps s’adapte, en se déformant, à des attitudes vicieuses prolongées.
Ensuite, parce que l’assise doit tenir compte des conditions de soutien postural actif ou non, de relâchement propre à l’émergence d’une action volontaire mieux contrôlée et demandant une moindre dépense énergétique. Nous élaborons un poste de travail qu’il faut envisager ergonomiquement.

Le concept de M.S.I.P. vise à faire le choix de l’interface la plus performante entre différentes alternatives. L’interface est alors définie par le mouvement (M), le site (S) où placer l’interrupteur (I) et la façon de le positionner (P.Un logiciel fut d’ailleurs créé pour permettre de comparer des informations quantifiables. La variabilité des réponses et leur sensibilité aux moindres modifications posturales, émotionnelles, ou environnementales rendent parfois difficile cette comparaison de données qui ne traduisent qu’un état. La vidéo est ici un excellent moyen d’étude, étayant l’analyse factorielle des troubles.

L’homme, interface plus adaptable qu’un micro-ordinateur ?

Il me semble important de considérer la différence entre indépendance et autonomie. Il peut arriver que le handicap de l’enfant soit tel qu’il soit incapable d’une activité véritablement autonome.

Nous avons la possibilité de le rendre très partiellement indépendant, mais à quel prix et pour la satisfaction de qui ? N’avons-nous pas une autre alternative qui nous engage à nous concevoir par moments comme une interface humaine infiniment plus adaptable qu’un micro-ordinateur ?
L’autonomisation mentale suppose de soutenir l’effort intellectuel, elle se perd dans une lenteur d’exécution exagérée. Face à une pathologie qui s’exprime dons la posture et le mouvement, nous pouvons aussi intervenir en sentant dans l’action l’intentionnalité de l’enfant, et en adoptant une attitude différente.

Notre écoute du corps de l’enfant et nos techniques permettent de guider, contenir, relâcher, d’accompagner et de renforcer l’effort.

De l’apprentissage en “salle d’ergothérapie” à la “salle de classe”.

Pour cerner le handicap situationnel de l’enfant dans l’usage de ses moyens informatiques, l’ergothérapeute étudie, ou préalable, avec les intervenants concernés comment peut s’insérer dans l’environnement d’apprentissage existant, le système propre à cet enfant.
Après avoir déterminé un matériel et réalisé l’apprentissage fonctionnel en salle d’ergothérapie, il ne faut pas négliger la difficulté du “passage en classe” d’un tel système. Pêle-mêle, interviendront le facteur émotionnel et l’excitabilité de l’enfant inférant avec ses capacités de contrôle, la formation et la motivation de l’enseignant à l’usage de l’informatique, la fiabilité du système et son “alimentation” en piles, papier, ruban..., le bruit ambiant déclenchant le contacteur à la voix, et tout ce qui déborde quotidiennement notre imagination.

- Le fait moteur - Le fait cognitif : Le système informatique propose différentes démarches.

Dans une activité pédagogique, nous pouvons dissocier artificiellement le but à atteindre des modalités d’action qui s’enchaînent jusqu’à l’obtention d’un objet final. Un même résultat peut être acquis par différentes voies.

Entre les deux, le système informatique propose une ou plusieurs démarches, certaines erreurs ne sont plus possibles. Il peut suppléer peu ou prou à la réflexion de l’enfant face à un problème donné, et même s’il propose des choix, il limite les mauvais aiguillages.

Entre ce qu’on peut appeler le fait moteur et le fait cognitif, les deux activités sont totalement empreintes des capacités perceptives et praxiques du sujet, la dissociation artificielle proposée par un outil informatique revient à créer une autre activité.

Opposons deux observations
1 - L’une est davantage attribuée à l’adresse gestuelle le coloriage.
Sa maîtrise demande à ‘enfant d’effectuer des mouvements en aller et retour parallèles aux limites du tracé. Il doit donc en permanence s’adapter à de nouvelles données perceptives : différentes inflexions de courbes, d’obliques... Il sera d’autant plus efficient qu’il sera capable d’anticiper un positionnement de sa main propre à lancer un programme moteur reconnu par l’expérience et choisi comme le plus efficace pour l’orientation désirée.
L’acquisition d’une qualité de maîtrise du coloriage et celle de la capacité de copier de façon habile une écriture liée s’effectuent en parallèle.

2 - L’autre est envisagée comme une activité essentiellement cognitive :
la résolution d’une multiplication par un enfant qui n’accède qu’à une écriture- machine.

Résoudre une multiplication suppose qu on suive un ordre méthodique dans la succession des opérations, dans l’agencement du tableau de résultats qui détermine l’addition finale. L’ordinateur peut accélérer la vitesse d’écriture de l’enfant.
- Soit en proposant une “entrée” qu’il maîtrise mieux : grand clavier, paramétrage de la sensibilité des touches...et un affichage total sur écran, préférable pour cette utilisation aux petites machines électroniques actuelles où la cassette vient masquer la zone de frappe.
- Soit en faisant pour lui un certain nombre de tâches répétitives supposées connues : le curseur se positionne au fur et à mesure au bon endroit alors la machine à écrire suit une progression inverse.
- Soit en proposant l’erreur entre autres solutions retenue oui/non, positionnement du curseur à la ligne sans décalage.
Dans les deux derniers cas, il shunte la démarche personnelle de l’enfant et ne donne pas à l’enseignant la possibilité d’observer le type d’erreurs
Ce n’est pas la même chose de se représenter ou de choisir une solution.
Un bon logiciel doit donc posséder plusieurs niveaux, l’enseignant décidant individuellement de ce que l’ordinateur doit réaliser à la place de l’enfant.

L’éducateur et la technologie : Aider les I.M.C. dans leurs démarches de résolution des problèmes, Développer la communication.

Il est indispensable que l’enseignant conçoive une autre façon d’aider que celle qui fonctionne avec des enfants qui ont des capacités perceptives homogènes dans leurs fonctions de reconnaissance et de reproduction.

Toutes les méthodes concourent à un progrès puisque la maturation perceptive fera progresser l’enfant de lui-même.
Le problème est de savoir si la spécificité de ce qu’on lui apporte est susceptible de lui faire faire un progrès plus rapide ou de créer une situation psychologique qui ne soit pas pénible à vivre par des exigences excessives, dans des conditions difficiles.

La demande de l’éducateur par rapport à la technologie et donc par rapport à celui qui la met en place oscille entre 3 objectifs :
- Le souci d’un résultat objectivable.
- L’observation de sa démarche de résolution de problème.
- L’intégration au groupe classe
- et l’aspect relationnel.

Que l’ordinateur adapté lui serve à jouer avec un autre enfant, à produire un message vocalise par un synthétiseur, à réaliser un exercice de maths ou de conjugaison, d’un dessin assisté par ordinateur, il s’agit toujours d’un acte de communication.

L interface ainsi créée ne peut se dégager :
- du désir de communiquer
- des partenaires adultes ou enfants
- de leur choix d’opter pour cette voie de communication qui interfère avec d’autres, et engage un type de relation
- du contexte duel ou collectif dans lequel elle s’inserre et qu’elle modifie.

L’outil informatique : Un intérêt proportionnel à son adaptation aux situations de handicap et d’apprentissage.

Tous ces outils interfaces spécifiques au handicap, que ce soient les ordinateurs, les codes de communication, les aides techniques, les fauteuils électriques.., ne marquent un réel progrès que s’ils améliorent la qualité de la vie de la personne handicapée. Le fauteuil électrique, la machine à traitement de texte se démarquent car ils cernent un besoin spécifique et font davantage appel au libre-arbitre de leur utilisateur, Ils sont d autant plus acceptés qu’ils libèrent l’adulte de sa propre dépendance et dès lois qu’ils ne s’en servent pas également comme moyen de communication : bousculer, dire des gros mots.
L’intérêt de l’outil informatique n’est pas proportionnel à son degré de sophistication mais à son adéquation aux situations de handicap et d’apprentissage. Outil de communication, il est une voie parmi d’autres, pour réduire l’incertitude à la base du besoin de communiquer. Que peut l’informatique devant un “trouble” de l’évocation du mot (au stade où l’enfant qui n’a pas une parole compréhensible écrit sous dictée des mots très simples et usuels, on s’aperçoit qu’il ne peut les évoquer et donc les écrire, si on lui montre l’objet sans le nommer) ? Est-il utile d’associer à chaque désignation d’un pictogramme l’image de la graphie du mot, et son émission synthétisée ? Mais est-ce en répétant dix fois, trente fois un stock croissant de mots usuels qu’il apprendra à les énoncer spontanément ? Cela revient à émettre des hypothèses sur les conditions nécessaires et suffisantes d’un apprentissage du langage sans l’usage de la parole, sur l’enchaînement des acquisitions, le tout déterminant un ensemble de logiciels visant à exercer et vérifier les acquisitions.
Nous sommes aux prémisses de travaux d’équipes passionnants où chacun a des mots à dire. Nous avons encore beaucoup à faire et à réfléchir pour dépasser notre propre “trouble” d’évocation, pour que dans un avenir proche, l’usage adapté de l’outil informatique justifie les espoirs et les efforts engagés.

Extrait de la Revue "Vers l’Education Nouvelle", n°451 - décembre 1991

Mise en ligne le 16 juin 2006
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