Article paru dans la revue Vers l’Education Nouvelle N°526 - avril 2007
En 2005, le CRDP de Haute-Normandie a lancé un audacieux défi : mettre sur pied le premier festival du Film d’éducation - à Evreux, du 23 au 26 novembre 2005.
Il s’agit d’offrir à un très large public de professionnels de l’éducation, de responsables politiques et associatifs, aux parents, aussi, un lieu et un moment privilégiés pour rencontrer des réalisateurs et producteurs de fictions ou de documentaires, voir leurs œuvres et débattre ensemble des grandes problématiques sur l’éducation ainsi mises à jour. « Il n’existe à ce jour aucun regroupement de ces ressources en termes de documentation ni en termes de rencontres professionnelles ou de confrontation des œuvres », constatent ainsi à l’époque les concepteurs du projet, et Jean-Paul Cayeux, directeur du CDDP de l’Eure ajoute : « Tous ne pouvaient être qu’intéressés. » Restait encore à répondre à la question : « Qu’est-ce qu’un film d’éducation ? »
Jean-Paul Cayeux répond qu’un film d’éducation est appelé ainsi quand il raconte une histoire d’éducation. Réponse complexe, un film raconte-t-il toujours une histoire ? La question demeure posée. Les Ceméa se sont engagés dans ce festival parce qu’il représente un formidable espace de confrontations et de débats, de regards croisés et d’échanges de points de vue, de construction de lien et
d’invention pour tous les acteurs éducatifs, les parents, les enseignants, les animateurs, et au-delà tous les citoyens. Les Ceméa s’y sont impliqués avec les autres partenaires, en l’intégrant comme un espace de « formation » pour les acteurs locaux, en articulant le « voir » des films avec le « parler » de grands témoins pour défricher encore et toujours les questions de l’éducation, en favorisant le rôle de transmission d’un patrimoine vivant de films documentaires au-delà de l’événement lui-même, au-delà des territoires normands. Grande ambition, alors, pari risqué, mais incontestable réussite, aujourd’hui : tel apparaît le bilan après le deuxième festival de novembre 2006.
Les finalités ambitieuses de ce festival
Parce que le cinéma peut participer de l’éducation. Qui en douterait en aurait maintenant la démonstration. En effet, « L’image, comme l’imaginaire, permet à tous les niveaux de comprendre, au sens étymologique de prendre avec soi », écrit Georges Jean1. Elle permet de « prendre avec soi le réel ». De l’émotion à la réflexion, donc : c’est littéralement ressentir la relation éducative, la vivre, avant de la penser.
Le film de fiction, d’imagination qui recrée un monde, comme le documentaire, qui donne à voir, qui prend date, tous deux touchent, émeuvent, provoquent et, ainsi, invitent au recul et à l’analyse. « Le cinéma - comme la littérature - est précieux pour penser l’éducation, pour entrer dans l’intelligence de la chose éducative » peut affirmer Philippe Meirieu dans la préface à l’édition du premier festival. Le public ne s’y est pas trompé : nombreux, fidèle, étonnamment varié, de tous les âges, de tous les milieux, mais incontestablement intéressé par le programme qui propose en alternance projections et débats, d’une part et tables rondes, d’autre part. Attention, émotions fortes et intenses pendant les projections, réactions libérées ensuite dans les débats qui confrontent les auteurs, réalisateurs, producteurs, comédiens aux
spectateurs. Réflexion partagée, vivante, parfois étonnante ou originale, contradictoire ou consensuelle, mais toujours riche et nourrissante. Il faut dire que la programmation ambitieuse, exigeante, de qualité s’ouvre à des films de référence ou en avant-première 2 et à des documentaires variés, et d’horizons variées. Il s’agit d’œuvres fortes, qui peuvent être des appuis pour des actions de formation diverses, pour lancer des réunions-débats, des colloques.
Des tables rondes pour débattre
Des tables rondes rassemblent un public varié : professionnels de l’éducation (enseignants en poste ou en formation, éducateurs, animateurs) parents, sans oublier les élèves du lycée Senghor d’Evreux, et sa section Cinéma, tour à tour spectateurs, cinéastes, journalistes, techniciens, tous présents, malgré les horaires apparemment peu favorables (en matinée), attentifs et réactifs.
Les trois thèmes de la deuxième éditions de novembre 2006 « Figures et lieux de l’autorité » (le mardi) ; « L’autorité, savoirs et valeurs » (le mercredi) ; et, enfin « La fin de l’autorité ? » (le jeudi) donnent la parole à trois intervenants puis à la salle. Citons-en quelques aperçus ; schématiques et réducteurs, bien sûr. Le premier jour, Eirick Prairat porte un regard distancié et analytique sur l’idée qu’il n’y a pas d’éducation sans autorité, et s’interroge sur une éventuelle « crise de l’autorité » pour en proposer trois lectures (sociologique, philosophique, anthropologique). Antoine Prost (historien), à l’aide d’une étonnante et piquante comparaison avec la hiérarchie militaire pendant la Grande Guerre, suppose la nécessité d’un écart, d’un « jeu », entre l’ordre et son exécution, et montre que ceux qui sont censés obéir savent feindre l’obéissance, ce qui permet à ceux qui ordonnent de feindre la certitude d’être obéis ! Le mercredi, Sami Aldeeb qui, dit-il, « s’occupe des minorités non-musulmanes dans les pays musulmans et des minorités musulmanes en Occident » s’inquiète avec humour, chaleur humaine mais aussi vigueur, d’une montée de l’intégrisme musulman. Jean François, à partir du croisement des trois « champs », celui des valeurs (cultures, religions, traditions) ; celui des savoirs (l’enseignement, l’instruction) ; celui de l’autorité « qui l’exerce ? au nom de quelle légitimité ?) propose une pratique réfléchie de la laïcité en éducation, éclairée d’ancrages dans le quotidien et appuyée sur une exigence éthique.
L’autorité renvoie à la présence de l’éducateur. Si le statut ne fait plus sa légitimité, c’est alors sa personne qui fait la différence (Michel Fize). Vertige de l’existence et de l’essence : si je suis un mauvais éducateur, suis-je une mauvaise personne ? La formation des enseignants porte sur les disciplines ou la pédagogie, doit-elle aussi intégrer leur comportement ? L’éducateur doit-il s’auto-psychanalyser ? Le jeudi, Mickaël Foessel apporte un regard de philosophe pour réfléchir au couple autorité et pouvoir, et affirmer la nécessité de la transparence dans l’autorité : « une autorité sans mystère évite l’autoritarisme », disait ainsi un autre philosophe, François Galichet.
Enfin, Serge Vallon, psychiatre et psychanalyste, à partir d’une réflexion sur les racines infantiles du désir d’autorité, suppose l’existence d’une angoisse chez l’enfant, l’individu, un groupe, une classe, un peuple... en manque d’autorité.
Ces quelques aperçus d’ensemble - si rapides, si superficiels, si déformants même, peut-être - veulent pourtant montrer la nécessité et l’importance du festival du Film d’éducation. Il est en train de prendre une dimension nationale, et c’est tant mieux : plus qu’une reconnaissance, c’est une nécessité.
Christian Gautellier
Ecoutez les rencontres et tables rondes du festival 2006 sur Internet :
http://crdp.ac-rouen.fr/festivalfilmeducation/tablesrondes/2006