La naissance d’un journal est rare. Surtout aujourd’hui où la presse quotidienne nationale connaît une grave crise. Crise financière bien sûr, due à de multiples facteurs, la perte de lecteur, la perte de contrats publicitaires au profit de la télé en particulier, la concurrence accrue d’Internet, mais aussi des gratuits...La tendance, la crainte, serait plutôt à la disparition de titres.
D’où l’intérêt du film que Raymond Depardon consacre au lancement du Matin de Paris en 1977. Pendant les 10 jours qui ont précédé la sortie du numéro 1, Depardon a suivi de très près le travail de l’équipe de journalistes réunie autour de Claude Perdriel, rédacteur en chef et directeur de la publication. Le projet est clair. Il s’agit de faire un journal engagé politiquement à gauche, mais sans être l’organe officiel d’un parti, le PS en l’occurrence en cette période d’union de la gauche qui portera Mitterrand au pouvoir. Mais le projet est aussi journalistique. Faire un quotidien nouveau, proche de ses lecteurs, de leurs préoccupations concrète. Le mot d’ordre est : pas de scoop, pas de « coup », pas de scandale. Comme le dit Claude Perdriel, le vrai scandale c’est celui des inégalités sociales.
Pendant la réalisation de ces numéros 0, Depardon montre tous les niveaux du travail des journalistes, conférences de rédaction, choix de la « une », des titres des principaux articles, maquette et mise en page. Politique nationale et internationale, société, culture, sport, rien n’est laissé de côté. Le cinéaste est partout. Il fait lui-même les images et le son. On l’imagine le plus discret possible, se faisant oublier. Et effectivement, à l’image, aucun des « acteurs » de cette aventure ne semble poser ou prendre une attitude convenue. L’important c’est le travail. Dans l’effervescence de plus en plus grande à mesure que le grand jour approche. Non seulement il s’agit d’être prêt, m’ais d’être le meilleur possible. Perdriel n’a qu’un mot à la bouche : améliorer. Améliorer jusqu’au dernier moment, trouver le bon ton, la bonne dimension des articles, les bons titres. La séquence où les rédacteurs en chef adjoint ré-écrive un article est particulièrement passionnante. On est au cœur de ce métier prestigieux, mais aussi souvent soumis à la critique, parfois justifiée. Ici, le pouvoir des journalistes ne tombe pas du ciel. Il est le fruit de leur travail, de leur compétence, de leur rigueur et de leur honnêteté.
Beaucoup de document, des livres surtout, ont été réalisés sur la « vie intime » des journaux. Mais faire un film sur le travail journalistique au quotidien, sans tomber dans les clichés à coup d’interviews de « figures » de la presse, dans les moments même où le journal s’écrit, est chose particulièrement difficile. Depardon en se lançant dans l’entreprise en 1977 réussit essai qui est un coup de maître.
Février 77, le premier numéro du Matin est dans les kiosques. C’est un événement politique et culturel. Le film de Depardon est un autre événement, cinématographique. La création d’un style, dans la lignée de Jean Rouch, que Depardon a souvent cité comme étant sa référence, avec Chris Marker. Mais chez Depardon, pas de commentaire. La volonté du cinéaste de ne pas intervenir dans c » qu’il film est poussé au maximum. Aujourd’hui le Matin n’existe plus, depuis pas mal d’année déjà. Le film de Depardon lui est toujours d’actualité.
Jean Pierre Carrier