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Qu’est-ce qu’un film d’éducation ?
Jean Pierre Carrier

Qu’est-ce qu’un film d’éducation ?

Il ne s’agit certainement pas d’un « genre cinématographique » officiellement reconnu comme le western ou la comédie musicale. Il ne s’agit pas non plus à l’évidence d’un courant historiquement situé comme le Néoréalisme ou la Nouvelle Vague. Qu’est-ce qui fait donc qu’on puisse parler d’éducation à propos de films extrêmement différents, documentaires ou fictions, longs ou courts, centrés sur une personne ou concernant un groupe social, contextualisés dans l’actualité ou renvoyant à une problématique intemporelle…Le film d’éducation se caractérise d’abord par son projet : montrer ce qu’éduquer veut dire. Plus précisément peut-être tout film d’éducation vise avant tout à montrer que la vie elle-même est fondamentalement un processus éducatif, que ce soit pour « devenir grand » comme disent les enfants, ou pour se découvrir et s’affirmer soi-même comme disent les plus âgés. Qu’elle mette en relation des adultes et des jeunes, qu’elle concerne des relations entre pairs ou même le développement personnel, l’éducation est au cœur de la vie individuelle et sociale. Il n’y a rien d’étonnant alors qu’on puisse la retrouver dans tant de films si différents, mais dont elle constitue le sens profond.

Petit inventaire, non exhaustif, renvoyant aux films présentés dans les différentes éditions du Festival du Film d’Education d’Evreux, mais puisant aussi dans l’histoire mondiale du cinéma. .

Si l’on se réfère au contenu du film, ce dont il traite ou le contexte dans lequel il se déroule, une première réponse semble évidente : est film d’éducation un film qui concerne le système éducatif, c’est-à-dire l’éducation formelle. Il ne viendrait à l’esprit de personne de ne pas considérer Etre et Avoir de Nicolas Philibert ou Entre les murs de Laurent Cantet comme de s films d’éducation. Dans ces films, nous sommes dans une classe. Nous y voyons des enseignants enseigner et des élèves qui sont là pour apprendre. Il existe bien évidemment dans l’histoire du cinéma des films qui situent leur action, ou une partie plus ou moins importante de leur action, dans une classe ; à l’école primaire, au collège ou au lycée. Pour en rester au cinéma français, on peut citer les films bien connus de Marcel Pagnol, de Topaz au Château de ma mère en passant par la Gloire de mon père. De même pour La Guerre des boutons d’Yves Robert ou Les 400 coups de Truffaut, et surtout L‘Ecole buissonnière de Jean-Paul Le Chanois qui date de 1949, nous montrant, incarné par un Bernard Blier jeune, Célestin Freinet dans un de ses premiers postes d’instituteur révolutionner la pédagogie.

Le débat autour du collège unique, la montée de l’hétérogénéité des classes qu’elle entraîne, sans oublier le développement de la violence et de l’insécurité scolaire, vont donner lieu, plus près de nous, à une série de documentaires, popularisés par lé télévision, dont Une vie de prof d’Hervé Chabalier et La loi du collège de Mariana Otero, sont les plus connus. Le succès de ces films a d’ailleurs contribué à développer une vision bien restreinte du film d’éducation comme traitant nécessairement des difficultés que rencontrent les enseignants pour enseigner et les élèves pour apprendre.

Plutôt centrés sur l’enseignant, sa personnalité et l’exercice de son métier, ces films pourraient cependant être définis plus précisément comme des films d’enseignement, ou des films pédagogiques lorsqu’ils vont jusqu’à montrer non seulement comment les enseignants enseignent, mais aussi comment les élèves apprennent, et comment les enseignants organisent et essaient de favoriser les apprentissages des élèves.

A l’évidence, le film d’éducation au sens de l’éducation formelle ne peut pas se limiter à nous montrer la classe. L’éducation formelle renvoie bien évidemment aux établissements scolaires dans toute leur étendue. Certains films traient ainsi non du cours traditionnel, mais d’activités qui peuvent tout aussi bien se dérouler loin de l’établissement lui-même. La mise en œuvre de « projets », éducatifs et/ou culturels, est le thème privilégié de ces films qui, comme L’Esquive d’ Abdellatif Kechiche rendent compte d’activités, un projet théâtral ou cinématographique, un voyage…, restent scolaires parce qu’elles concernent des enseignants et des élèves, mais dans des situations pour le moins non traditionnelles, même si aujourd’hui elles n’ont rien d’exceptionnelles dans le système scolaire.

Dans le cadre de l’éducation formelle, nous devons aussi prendre en compte les films abordant l’établissement scolaire dans son ensemble. On peut alors se centrer sur les activités du personnel non enseignant (l’infirmière scolaire par exemple dans Ecchymose de Fleur Albert ) mais qui reste – et il s’agit alors de montrer l’importance de leur présence – en contact avec les élèves. On peut aussi retrouver les élèves dans le temps scolaire mais en dehors de la classe. On pense alors inévitablement au remarquable film de Claire Simon, Récréations, nous montrant les jeux des enfants dans une cour d’école maternelle, en l’absence quasi totale d’adultes puisqu’on ne voit que quelques fractions de seconde les enseignantes appelant au retour en classe où d’ailleurs, nous spectateurs, nous n’irons pas.

Dans son sens le plus large, l’éducation formelle ne concerne pas que les élèves, enfants ou adolescents, mais aussi les adultes, jeunes ou moins jeunes, dans le cadre de la « formation tout au long de la vie » comme le dit l’intitulé officiel. Formation permanente, mais aussi réorientation ou reconversion professionnelle, peuvent aussi donner lieu à des films qui restent d’éducation, même si les adultes qui y sont montrés ne sont plus vraiment des élèves, mais comme ceux-ci ils sont engagés dans un parcours, un passage vers une autre face d’eux-mêmes, qu’ils s’efforcent de construire.

Cette dimension de passage inhérente à la notion d’éducation, nous la retrouvons bien sûr dans d’autres institutions que le monde scolaire, que ce soit dans le cadre de la santé, de la justice ou même dans la sphère sportive. Les établissements spécialisés dans l’accueil des personnes handicapées (Elle s’appelle Sabine de Sandrine Bonnaire), les Centres Educatifs Fermés (CEF) permettant à des adolescents délinquants d’éviter la prison (Point de chute d’Adrien Rivollier) sont ainsi des lieux d’éducation dont la nécessité sociale n’est plus à démontrer. Dans le domaine sportif, tout entraînement, individuel ou collectif, est aussi une parcours éducatif, comme le montre des films consacrés au foot féminin par exemple (Joue la comme la vie de Hubert Brunou) ou à ces jeunes filles qui n’ont pas peur d’aborder un sport aussi traditionnellement masculin que la boxe (Not only men de Laure Belhassen et Eric Pinatel) ou même au devenir Sumo d’un jeune japonais (Une vie normale. Chronique d’un jeune sumo, de Jill Coulon.

Si nous avons mobilisé l’expression éducation formelle, c’est bien sûr pour pouvoir utiliser dans un second temps ce qui est ordinairement désigné comme éducation informelle. L’éducation n’est pas uniquement scolaire. C’est une évidence. Mais il importe d’en tenir compte et ainsi élargir le champ du film d’éducation.

Le premier lieu de l’éducation informelle est bien sûr la famille. Toute l’œuvre d’un cinéaste comme Ozu, dont les films sont souvent placés dans la catégorie « drame familial » peut ainsi être considérée comme appartenant aux films d’éducation. Ozu a d’ailleurs réalisé des films mettant en scène la relation parents enfants, comme Gosses de Tokyo où deux garçons décident de faire la grève de la parole jusqu’à ce que leur père achète un poste de télévision. Bien des films que nous avons déjà cités parce qu’ils se déroulent en partie dans une classe d’école montrent aussi la vie familiale, que ce soit les films de Pagnol ou La Guerre des Boutons et les 400 coups. Comment la famille ne serait-elle pas présente s’il s’agit de rendre compte de l’adolescence et des difficultés pour devenir adulte, comme par exemple 18 ans de Frédérique Pollet Rouyer qui, en une vingtaine de minutes, nous montre cette année cruciale qui va de l’anniversaire marquant l’accession à la majorité légale jusqu’à la réussite au baccalauréat.

Reste qu’un certain nombre de films présentés en compétition dans le Festival du film d’éducation d’Evreux, ne semble pas au premier abord concerner l’éducation au sens général d’éducation formelle ou informelle. Nous ne citerons comme exemple que le grand prix de l’édition 2009, D’une seule voix de Xavier de Lauzanne, montrant cette tournée musicale réunissant en France Israéliens et Palestiniens, juifs, chrétiens et musulmans. L’éducation concerne alors les peuples et les difficultés de relations qui existent entre leurs membres. Mais au fond, ce qui est sans doute le point commun de tous ces films, c’est qu’ils constituent un vrai moment d’éducation pour leur public.

Jean Pierre Carrier

Mise en ligne le 16 mars 2011
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