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L’interculturalité comme défi

Dans L’Histoire de la culture grecque, de Jacob Burkhardt, on rend compte d’un paradoxe : l’émergence de la démocratie et de la religion de la patrie comme des faits indissociables. L’être humain se libère du destin aveugle dans lequel l’enfermait le mythe pour renforcer son appartenance à sa cité, pour l’affirmer face aux autres. Lui, le citoyen de la polis, face aux barbares ou, pire encore, face aux ethné - les pèquenots - ceux qui ne connaissaient même pas leur histoire. Lui, appartient au peuple élu et, comme tel, il se doit à la patrie corps et âme.
Le paradoxe réside dans le fait que la culture est en même temps le ciment de la solidarité communautaire et un fait différenciateur. La culture est le fait culminant de l’humain et facteur d’exclusion. Toute culture a cette vertu et ce vice d’origine : fait identitaire et fait différenciateur. La culture qui donne cohérence au peuple est en même temps excluante. Ce que la cité grecque porte à son faîte, n’est pas propre aux seuls Grecs. Pour peu qu’on se donne la peine, nous pouvons voir à quel point sont nombreux les peuples qui se nomment « les vrais hommes » - Les Bantous, les Inuits. Cela dit, il me semble toujours paradoxal que l’émergence de la citoyenneté se fasse nécessairement à l’encontre de l’autre. En vérité, cela a marqué l’histoire humaine, toute l’histoire, toutes les histoires. La citoyenneté républicaine, notre grande conquête révolutionnaire, est quelque peu dans cette trace, la Nation française comme première nation libre et souveraine, voulant apporter aux autres, la triade rédemptrice - liberté, égalité, fraternité - ne fait qu’exercer l’oppression la plus « barbare ». Le cas de l’Espagne est concluant. Attendus comme des libérateurs, les Français furent vite haïs comme des oppresseurs, tant était grand leur mépris envers « ce peuple ignare ».

Où veux-je en venir ? Au fait que l’interculturel ne va pas de soi. C’est avant tout une gageure, c’est avant tout un défi. Travailler pour l’interculturel exige une remise en question permanente ; non un renoncement des cultures, mais bien une perspective génératrice sans échelle culturelle hiérarchique. L’interculturel implique d’être dans la conviction qu’il n’existe pas de systèmes culturels meilleurs, qu’il n’y a pas de cultures supérieures, ni inférieures. Plus encore, être dans la conviction qu’une dynamique interculturelle développe connaissance et enrichissement mutuels. Enrichissement générateur d’une Humanité planétaire, ce qui est à l’opposé d’une Humanité globalisée. Le futur ne sera qu’interculturel si tant est que nous ne voulions pas périr ensemble. Que nous ne voulions pas que ce qui a permis l’émergence de l’humain, soit le tombeau de l’Humanité.

A propos de l’interculturel, il me semble nécessaire de faire trois constats. Il implique un certain état de virginité, une nécessité de créativité, l’exigence d’égalité. L’interculturel implique un certain état de virginité. Cette année en Equateur, je me suis trouvé dans deux situations opposées, ô combien porteuses de leçons. D’un côté, alors que je donnais un cours sur l’interculturel à des professionnels et des politiques, à travers des échanges avec des participants, j’ai compris à quel point ce pays qui a vu s’écrouler l’appareil de l’Etat, peut en même temps voir émerger des expériences radicalement interculturelles. D’un autre côté, pendant mon séjour en Amazonie, je me suis trouvé dans la forêt dans un état d’ignorance totale. Vierge, dépouillé de tout savoir. Là-bas, tout échappait à ma connaissance, le temps, le sol, le ciel, les eaux, les bruits, les plantes, les animaux... J’étais en état d’apprentissage absolu. Mon guide était mon maître, non seulement il me conduisait sur les lieux, mais, bien plus, il était ma source de Connaissance.

Ces deux faits m’ont permis de toucher du doigt à quel point l’interculturel impliquait une démarche radicale. L’interculturel n’est pas seulement une approche pédagogique, mais bien un état d’esprit, comme le rappelle la plaquette de ces journées d’étude. Une stratégie qui entraîne un ensemble de conséquences économiques, sociales, éducatives et politiques difficilement dissociables. L’interculturel n’est pas une affaire comme une autre. Cela oblige à la créativité, cela nous contraint à l’éveil. Aucune formule ne s’y accommode. C’est une affaire qui nous demande une remise en question permanente. L’interculturalité comporte le difficile apprentissage de se dépouiller, de s’ouvrir à l’autre et d’imaginer ensemble. Le dialogue interculturel suppose un apprentissage permanent sans échelle hiérarchique. Il n’y a pas, il ne peut pas y avoir une éducation interculturelle sans égalité. Parler d’égalité veut dire qu’il n’y a pas quelqu’un en haut et un autre en bas, qu’il n’y a pas un qui sait tout et un ignorant passif. Mais j’irais encore plus loin, il est difficile de parler d’égalité dans un abîme de différence ; de parler de politiques interculturelles dans une société où se côtoient la richesse et la pauvreté, où se confrontent l’abondance et la misère

Mise en ligne le 30 mars 2006
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