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L’AUTOBIOGRAPHIE FILMIQUE AU FESTIVAL DU FILM D’EDUCATION
Jean Pierre Carrier

Pour sa 7° édition qui s’est déroulée du 15 au 19 novembre 2011 à Evreux, le Festival du Film d’Education a été dominé par les films autobiographiques. Des documentaires, inévitablement. Des films en première personne pas seulement parce que la bonde son est organisée autour de la voix du réalisateur (ou de son porte-parole) ; pas seulement non plus parce que la personne même du cinéaste est présente physiquement à l’écran ; mais surtout parce que des films sont l’œuvre d’auteurs qui racontent leur vie, ou une partie de celle-ci, explicitement, sincèrement, directement, sans s’encombrer d’effets rhétoriques, sans fausse pudeur, sans chercher un quelconque prétexte et surtout sans s’en excuser. Se filmer soi-même, pour ces cinéastes du moi triomphant, est devenu aussi naturel que regarder dans le viseur d’une caméra. Et cela, sans exhibitionnisme outrancier, sans nombrilisme non plus quand le point de départ autobiographique et la présence continue du cinéaste conduit au traitement en profondeur d’une question universelle comme l’homoparentalité ou le génocide arménien. Parce que ce moi du cinéma autobiographique est inscrit dans le monde, il n’est pas simplement narcissique. Il fait entièrement partie de la construction filmique du réel.

Mais, dira-t-on, un film peut très bien dire beaucoup sur son réalisateur (comment peut-il en être autrement s’il s’agit d’une œuvre d’auteur), sans que celui-ci s’implique physiquement ou apparaisse directement dans son film, sans qu’il parle de sa vie. Certainement. L’exemple le plus clair en ce sens à Evreux a sans doute été Les trois guerres de Madeleine Riffaud de Philippe Rostan. Film biographique retraçant une vie exceptionnelle, par ses engagements depuis la Résistance, jusqu’à la guerre d’Algérie en passant par l’Indochine et le Vietnam. Une telle vie, peut-on alors penser, est bien plus intéressante, bien plus dramatique, bien plus riche de sens, que celle de beaucoup de cinéaste d’aujourd’hui. Si un tel film n’est pas autobiographique, il n’en reste pas moins qu’il porte la marque de son auteur, par ses choix des images d’archives et par la relation qu’il établit avec le personnage qu’il rencontre et qu’il nous présente. Cependant, parler de sa propre vie ou de celle d’un autre, quelque soit l’exemplarité de cet autre, a une portée bien différente quant à l’implication du spectateur.

Première orientation du film autobiographique, la famille, le récit familial (qui n’est pas forcément un drame), les relations que peuvent entretenir ses membres entre eux. Exemple particulièrement significatif, Ce que peut le lion d’Olivier Pagani. Le cinéaste est père pour la première fois, d’un petit garçon. S’appuyant sur la parabole de Zarathoustra (le devenir lion du chameau et le devenir enfant du lion), il construit son film sur la succession des générations, se situant lui-même par rapport à son propre père et à son propre fils. Une interrogation philosophique forte, grâce à la référence à Nietzsche mais aussi grâce à la fraicheur intimiste de l’implication personnelle du cinéaste.

Dans l’enquête familiale (sur ses origines, sur sa propre enfance…) tout ce qui concerne la parentalité ne peut que gagner en authenticité par l’affirmation et le revendication de la dimension autobiographique. Illustration avec Broadway de Judith Josso et Allah Ghaleb / on n’y peut rien de Nadia Makhlouf.

Qui était l’arrière-grand-mère de Judith Josso ? Si la cinéaste se pose la question, c’est qu’elle reste une énigme pour elle. Née en Allemagne, Posa a franchi la frontière très jeune et est restée en France même pendant les deux guerres mondiale. Qu’est-ce qui a pu motiver cette immigration peu fréquente à l’époque ? Comment l’a-t-elle vécue ? Rosa n’est plus là pour répondre Mais les membres de la famille qui l’ont connue ont tous une interprétation personnelle. Le film prend la dimension d’une véritable histoire familiale, où les différents points de vue se recoupent ou s’opposent, tissant un récit polyphonique qui laisse l’arrière-petite-fille quelque peu perplexe.

Nadia Makhlouf elle aussi construit son film à partir de ses rencontres avec des membres de sa famille, en Algérie, plus précisément en Kabylie, deux sœurs qui sont ses cousines et les autres femmes plus âgées de la famille. le contraste entre les cousines est saisissant. Aziza d’abord refuse d’être filmée. On ne voit donc d’elle que ses mains et ses bras sur le sable d’une plage. A 29 ans, son problème reste le mariage qui semble s’éloigner d’elle en raison de ses aventures amoureuses passées. Zahiya, étudiante voilée et pratiquante, ne connaît pas ce type d’interrogation. Tout entière centrée sur sa vie d’étudiante, elle semble satisfaite de sa condition de femme telle que la tradition l’a forgée. Le film est donc une enquête sur la vie des femmes algériennes, mais incarnée dans une famille, celle de la cinéaste, qui donne toute la profondeur d’un vécu sincère et authentique à leurs propos. Les intentions du voyage que Nadia effectue pour revenir en Algérie sont claires : retrouver quelque chose de son passé, de ses origines, se retrouver soi-même.

La parentalité, telle est donc le point commun de toutes ces autobiographies familiales. Nés abandonnés, de jean Pierre Vedel, l’aborde encore plus directement. Elevé par une autre femme que sa mère jusqu’à trois ans, il part à la recherche de cette première mère. Sa quête n’aboutit pas, mais elle lui permettra de mieux comprendre celles que peuvent entreprendre les enfants nés sous X et qui, à l’adolescence, partent à la recherche de leur origine. De façon plus originale, il se concentre sur la vie de ces femmes qui, au sein d’une association, élèvent ces enfants abandonnés jusqu’à leur adoption. Il y a beaucoup d’émotions dans ces moments où elles prennent pour la première fois dans leurs bras ces nourrissons qu’elles devront aimer un peu comme leur propre enfant mais en restant toujours une « mère » passagère, provisoire, même si les premiers liens que l’enfant va tisser avec elle sont fondamentaux pour sa survie. Et puis, surtout, nous assistons à ce moment particulièrement intense, où elle remet l’enfant à ses nouveaux parents, ceux qui viennent de l’adopter, ceux qui deviendront ses vrais parents, ceux qui devront lui faire oublier cette première mère sans laquelle ils n’auraient pas pu commencer à se construire. Soyons sûr que si le cinéaste n’était pas lui-même présent dans son film, celui-ci n’aurait pas la même profondeur et la même portée.

L’homoparentalité, aborder ce thème s’inscrit nécessairement dans une visée militante, questionnant la législation française et le sort fait par la société au désir d’enfant d’un couple de femmes homosexuelles. Le film de Florence Mary, Les carpes remontent les fleuves avec patiente et persévérance, a bien une telle signification. Mais le aussi, vu de l’intérieur, le propos prend toute l’épaisseur d’un vécu parfois dramatique mais qui n’a jamais rien de simplement théorique et encore moins dogmatique. Le film nous plonge au cœur d’un couple, Florence et sabine, et de leur désir d’enfant. Pour elles deux, rien n’est simple : le choix d’avoir recours à l’insémination artificielle plutôt qu’à l’adoption, le choix de celle qui portera le bébé, même si celui-ci aura deux mamans, les voyages nombreux et épuisants à Amsterdam et Bruxelles puisqu’en France ce n’est pas possible, les échecs à répétitions et les multiples tentatives. Puis la grossesse et l’accouchement. Tout au long de cet itinéraire nous suivons les doutes, les hésitations mais aussi le courage et la détermination de ces deux femmes. Nous rencontrons aussi leurs familles respectives, leurs mères en particulier et la façon dont elles participent à leur façon au désir d’enfant de leurs propres filles. La manière simple et directe dont la cinéaste filme cette intimité nous entraîne bien au-delà de son cas particulier, du côté de l’universalité qui caractérise tout grand film.

La recherche de ses origines a souvent besoin de remonter plusieurs générations pour prendre sens, une histoire à long terme, qui concerna alors tout un peuple. Le peuple arménien par exemple dans Le fils du marchand d’olives. Mathieu Zeitindjioglou est d’origine arménienne, même si son nom, nous dit-il, a été turquifié. Il se sent donc directement concerné par le génocide de 1915, et plus particulièrement encore, par le négationnisme de la Turquie actuelle. Son voyage de noces, caméra au poing, sera alors une enquête, avec Anna comme détective, sur la perception que les turcs d’aujourd’hui ont de l’Histoire. Travail sur la mémoire et l’oubli, mais surtout sur la volonté idéologique de nier la vérité, de transformer le passé. Le film est une mise en perspective du passé et du présent, de l’histoire personnelle et de l’Histoire d’un peuple, du voyage touristique et du reportage journalistique. Et sa forme accentue cette diversité en faisant appel à de multiples formes, de l’animation du conte inaugural aux entretiens très classiques réalisés à Paris avec des historiens, en passant par le compte-rendu de voyage, utilisant tour à tour les nombreuses ressources offertes par les technologies actuelles de l’image. Résultat : un film foisonnant de trouvailles visuelles, extrêmement créatif et particulièrement attachant par l’implication personnelle du couple qui mène le projet. Il est rare qu’un propos de cinéaste revendiqué comme une histoire personnelle ait une telle résonance géopolitique.

Avec le récit autobiographique, le film d’éducation a trouvé une de ses formes la plus adaptée pour interroger le monde actuel. En l’inscrivant dans le passé et le projetant dans l’avenir, à partir de situations intimes et personnelles, il donne au cinéma l’occasion d’accéder à l’universel.

Jean Pierre Carrier

Mise en ligne le 5 décembre 2011
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