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Une « instance indépendante d’éthique et de médiation » pour une information de qualité

L’information n’est pas un « bien marchand » anodin, c’est un « bien commun » au service de l’intérêt général, nécessaire au bon fonctionnement de la démocratie.

Pour faire face aux dérives dont beaucoup se plaignent, dotons le monde de l’information et du journalisme d’une charte de déontologie reconnue par tous et d’une instance de médiation, d’autorégulation et de veille éthique. L’une et l’autre sont non seulement indissociables mais aussi nécessaires pour que soit effectif le droit des citoyens à une information libre, responsable, pluraliste et de qualité.

La profession commence à prendre conscience de l’urgence d’une telle initiative qu’elle élude depuis trop longtemps ; alors que des instances de régulation éthique de l’information et des médias existent dans une centaine de pays aujourd’hui. Citoyens, organisations de la société civile et responsables politiques ont aussi leur rôle à jouer.

POURQUOI UNE INSTANCE ?

Le droit à l’information. Le droit des citoyens à une information libre, honnête, pluraliste et de qualité devrait être inscrit dans notre Constitution. Sans information de qualité, pas de bon fonctionnement de la démocratie. Une instance de médiation et d’autorégulation en faveur de la qualité de l’information est un outil indispensable pour l’exercice de ce droit.

Une crise de crédibilité. Les grands principes n’ont jamais empêché les dérives et les dérapages. Depuis vingt-cinq ans, d’importants manquements à l’éthique de la part de journalistes, de médias et du système médiatique dans son ensemble, ont été enregistrés. En particulier : inexactitudes, approximations, déformations de l’information ; informations truquées ou inventées, marchandées ou monnayées ; plagiats ; diffusion de rumeurs non fondées ; non respect de la vie privée et de la dignité des personnes ; manque d’équité ; refus de rectification ; publicité déguisée, confusion entre information et promotion ou propagande ; manque d’indépendance vis-à-vis des sources ; conflits d’intérêt ; corruption … La liste n’est pas exhaustive. Au point que les critiques du public ont été de plus en plus nombreuses et de plus en plus sévères. La crédibilité des médias d’information et des journalistes est gravement atteinte, ce qui porte un double préjudice : aux professionnels d’abord, mais aussi aux citoyens-consommateurs qui perdent confiance car ils ne disposent pas en permanence de l’information fiable à laquelle ils ont droit. Les conséquences de cette crise de confiance sont immédiates par la baisse de diffusion de la presse écrite et sur le peu de crédit accordé aux informations télévisées.

Une réponse nationale. Des réponses partielles à cette crise de crédibilité ont été apportées, le plus souvent à l’initiative des éditeurs de presse : chartes déontologiques propres à un média et nominations de médiateurs. Mais ces réponses sont insuffisantes : on a pu observer que les chartes ne sont pas toujours respectées et que le public a tendance à attribuer à l’ensemble des médias les manquements de certains. D’autre part, c’est le système médiatique lui-même, au fonctionnement concurrentiel largement redondant et soumis aux emballements, qui est souvent à l’origine de dérapages collectifs. Dès lors, une solution nationale est seule à même de résoudre un problème national.

Un code et une instance. La réponse de principe est connue, elle comporte deux éléments.

• D’une part, un code de déontologie reconnu par tous et notamment par les éditeurs. En effet, les chartes de 1918 et 1971, n’ont été adoptées que par les seuls syndicats de journalistes. En revanche, le texte présenté en 2009 par le « comité de sages », réuni autour de Bruno Frappat, à la suite des Etats généraux de la presse écrite, pourrait être le point de départ vers une charte consensuelle. Il revient aux partenaires sociaux soit d’inscrire un texte dans la Convention collective nationale de travail des journalistes, soit par toute autre manière de l’imposer comme « Tables de la loi » aux journalistes, aux hiérarchies rédactionnelles et aux éditeurs de médias.

• D’autre part, une instance indépendante, capable de promouvoir l’éthique dans les médias et de faire respecter les principes définis dans la charte. Une boussole rappelant en permanence les « bonnes pratiques » et pointant les manquements. Une instance de médiation entre le public et la profession.
Ces deux éléments sont complémentaires. Une instance a besoin pour fonctionner d’un texte de référence reconnu, une charte n’a pas d’efficacité sans une instance en mesure de la faire respecter.

Liberté – responsabilité

Les résistances de la profession, malgré les nombreuses incitations de la société (rapports au gouvernement en 1993 et 1999, avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme en 1995 et du Conseil économique et social en 1999, notamment…), sont-elles encore acceptables ? Les journalistes, par cette attitude, sont perçus comme se plaçant « au-dessus des lois » et les médias comme « arrogants » dans leurs rapports avec le public.
Faire l’amalgame entre un « ordre des journalistes » et une instance d’éthique, ou bien avancer que celle-ci porterait atteinte à la liberté de l’entrepreneur ne sont que des faux-fuyants, souvent de bonne foi mais qui ne résistent pas à l’analyse. Il faut affirmer haut et fort, au contraire, qu’il n’y a pas de liberté sans responsabilité. L’action en faveur d’une responsabilisation de la profession est une action en faveur de la crédibilité de celle-ci, de la liberté de la presse, de la défense des journalistes et notamment de leur indépendance… Le rôle dévolu aux professionnels de l’information pour le bon fonctionnement de la démocratie ne peut s’exercer convenablement sans un droit de regard sur sa mise en application, de la part de la société, des citoyens, et de la profession elle-même.


Dépasser le corporatisme

Il n’est pas question, pour autant, d’accepter une régulation « administrative », imposée par l’Etat, fût-ce au nom de la souveraineté populaire. Il n’est pas question non plus de nier que l’élément central d’une telle instance doit être la profession elle-même, éditeurs et journalistes confondus. C’est à la profession que revient la mission sociale de fournir l’information au public. C’est elle qui est critiquée pour ses insuffisances et c’est d’elle qu’il est attendu un « service » de qualité. Mais, depuis plus d’un siècle, éditeurs et journalistes vivent dans l’illusion qu’ils ne doivent rendre de comptes qu’à « leurs pairs » (et, dans la pratique, ne pas en rendre du tout). Ce corporatisme est devenu désuet. Dans l’instance d’éthique qu’il faut créer, le public des médias doit être fortement partie prenante. C’est en cela qu’une « instance indépendante d’éthique et de médiation » se distingue d’une instance professionnelle paritaire (exemple : Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels), d’une instance mixte administration-profession (exemple : Commission paritaire des publications et agences de presse) ou d’un conseil supérieur désigné politiquement (exemple : Conseil supérieur de l’audiovisuel).

QUELLE INSTANCE ?

Une instance indépendante d’éthique et de médiation, ce n’est pas :
Un conseil de l’ordre professionnel
Un tribunal de la presse et des journalistes
Un moyen de donner raison au plaignant
Un outil pour restreindre l’esprit critique et l’indépendance des médias
Une arme contre les journalistes
Un obstacle au développement économique des médias

C’est une instance de médiation entre la presse et son public
Un observatoire des pratiques et un espace de débat public.
Un lieu de recherche d’équité.
Un outil pédagogique d’innovation citoyenne sur le fonctionnement des médias.
Un processus pour conforter l’indépendance journalistique.
Un moyen de régulation de l’activité journalistique au service de la qualité.

Les trois fonctions d’un instance

• Une médiation entre médias et public, une autorégulation professionnelle.
• Un suivi critique des pratiques professionnelles, une veille déontologique, une réflexion et une discussion sur les questionnements éthiques : c’est à la fois un « observatoire » et un espace ouvert et indépendant de débat.
• Une action pédagogique à destination des professionnels et des non-professionnels de l’information.

Les activités d’une instance

o Le traitement des plaintes émanant du public, personnes privées ou morales.
o L’auto-saisine sur des cas précis ou sur des questions générales.
o Les activités d’observation des pratiques, de pédagogie, de débat.
Sur les dossiers qu’elle examine, l’instance émet des avis (sur la base des textes déontologiques dont elle a fait ses références), après enquête (et tentative de médiation dans le cas des plaintes) ; ces avis sont rendus publics, qu’ils soient en faveur ou en défaveur des médias et/ou des journalistes concernés ; elle produit un rapport annuel public, fruit de ses diverses activités.

Les acteurs d’une instance indépendante

- Les journalistes, y compris les hiérarchies rédactionnelles, premiers responsables de la qualité de l’information et dont la loi reconnaît la fonction par un statut spécifique ;
- Les éditeurs de presse (tous médias), responsables du « produit fini » informatif livré au public et co-responsables devant la justice de sa qualité ;
- Les représentants du public, afin que celui-ci exerce ainsi son droit à une information de qualité.

L’APCP propose une instance tripartite de 24 membres : éditeurs (8), journalistes (8), public (8). Les membres pourraient être désignés par un « collège de fondateurs » de l’instance. Le tiers « éditeurs » devrait comporter une minorité de représentants des organisations professionnelles des médias, de même pour les syndicats de journalistes dans le tiers « journalistes ». Les fondateurs pourraient choisir le tiers « public » après un large appel à candidatures dans les médias, pour avoir à la fois notamment des personnalités qualifiées et des représentants d’organisations de la société civile.

Quels médias sont concernés ?

L’activité ordinaire de l’instance porte sur l’information produite et diffusée par des médias ayant un statut d’éditeur (presse écrite, radio, télévision, Internet) et employant des journalistes professionnels. Elle n’est pas limitée à « l’information générale et politique ».

Quels cas traiter ?

L’instance intervient sur des entorses à la déontologie et à l’éthique dans le traitement de l’information ; qu’il s’agisse de cas particuliers ou de questions d’intérêt général. Son activité ne concerne pas les relations sociales entre journalistes et employeurs. L’adage journalistique « Les faits sont sacrés, les commentaires sont libres » inspire le travail de l’instance : elle s’intéresse au processus de fabrication et au traitement factuel de l’information (événements et situations) et non aux jugements et opinions sur l’actualité.

Qui peut saisir l’instance ?

Toute personne et/ou groupe de personnes qui constate (ou qui en est victime) un manquement à la déontologie et à l’éthique (ou qui en est victime).
Ces personnes sont d’abord des usagers de l’information (lecteurs, auditeurs, téléspectateurs, internautes), mais les journalistes, les éditeurs et les représentants des pouvoirs publics peuvent aussi saisir l’instance, s’ils s’estiment concernés ou s’ils veulent défendre une pratique déontologique qui aurait été bafouée.
L’instance peut aussi s’autosaisir.

Document issu des travaux de l’Association de préfiguration d’un conseil de presse (APCP), dont les Ceméa sont membres.
Février 2010

Lire aussi l’article "Dans la dynamique de la création de l’association "Information et citoyenneté", avec la Ligue de l’Enseignement et les Francas, les Ceméa ont rejoint cette association ".

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Mise en ligne le 6 février 2010
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