Un enfant perdu dans une ville. Une grande ville. Une ville ensoleillée près de la mer. Cette ville pourrait être Marseille. Cette ville est sûrement Marseille. Mais sans le soleil et la mer, cette ville pourrait tout aussi bien être une ville du nord et l’histoire de l’enfant perdu pourrait se situer dans n’importe quelle banlieue de n’importe quelle ville.
Le point de départ de l’histoire qui nous est proposée est simple. L’enfant perdu n’a plus de nom. Il doit le retrouver car il n’est pas possible de vivre sans nom. Bien sûr, dans les rencontres qu’il va faire, bien des noms lui seront proposés. N’est-il pas facile de donner un nom à un enfant ? Mais ce que l’enfant perdu cherche, c’est son vrai nom, celui avec lequel il ne fait qu’un, celui qui est entièrement lui.
Cette histoire n’est pas vraiment un conte, même si elle prend la forme d’une quête, celle de l’identité ; même si elle fait intervenir dans la scène finale une sorcière qu’il faudra vaincre grâce aux expériences accumulées précédemment. Mais cette victoire ne devra rien à la magie ou au surnaturel. Et le contexte dans lequel s’inscrit cette histoire est bien celui de la réalité, d’une réalité que trop d’enfants favorisés auraient tendance à ignorer, ou à considérer comme négligeable, mais dont l’avenir de notre société exige qu’il prenne aujourd’hui conscience. Les rencontres que fera l’enfant sans nom tout au long de sa quête seront autant d’occasions de découvrir cette réalité, autant de situations bien réelles, présentées sans exagération, comme de simples tranches de vie en somme, mais qui tirent justement leur force de la simplicité avec laquelle elles sont présentées. Ainsi en est-il de la rencontre avec Saïd, l’immigré, qui vit dans une caravane prêtée et qui n’a pas les moyens de faire venir auprès de lui sa famille, restée dans un pays où il est difficile de vivre à cause de la guerre. De même, lorsqu’on assiste à la discussion entre les parents d’Omar, à propos de la paire de baskets que le père a fini par lui acheter, même si le coût important de ce produit de marque (" on ne voit que ça à la télévision ") remet en cause l’équilibre précaire du budget familial. Et c’est bien sûr aussi le cas de la rencontre avec les enfants de la cité aux accents tous différents, ce qui permet d’évoquer leurs conditions de vie quotidienne, les ascenseurs en panne ou leur peur des étrangers. Chaque scène est ainsi centrée sur un problème, qui peut être le point de départ d’une réflexion collective, car bien sûr ce titre est conçu pour une utilisation éducative, où sa simplicité même est une garantie d’efficacité.
L’Enfant sans nom a été réalisé au sein de la société Koana par Gilles Colleu à partir d’un projet du mouvement ATD Quart-Monde. Il s’inscrit parfaitement dans les actions menées sur le terrain par sa délégation méditerranéenne, en particulier dans le cadre du Pivot culturel du Parc Bellevue à Marseille, des Universités Populaires du mouvement ou des bibliothèques de rue de la région Méditerranée. A chaque fois, des enfants et des adultes d’origines différentes ont évoqué ensemble les problèmes de la misère et ont ainsi peu à peu inventé l’histoire de l’enfant sans nom qui sera reprise dans le scénario. Réaliser avec tout ce matériau un cédérom était sans doute le moyen le plus efficace pour s’adresser à tous les enfants avec les moyens de notre temps. Ave un graphisme particulièrement soigné et tout en finesse, avec des accompagnements musicaux diversifiés et jamais tonitruant, le résultat est à la hauteur de l’ambition. Sans esbroufe, sans effets spéciaux et sans aucune concession au spectaculaire, du véritable multimédia éducatif.
Le cédérom propose trois modes de consultation, ainsi qu’un Karaoké. Il est ainsi possible de suivre l’histoire seule, de faire les jeux sans accéder à l’histoire ou de suivre l’histoire avec sa plénitude interactive, c’est-à-dire en réalisant les jeux qui sont autant d’épreuves jalonnant le parcours du personnage.
Les jeux, sans être tous entièrement originaux, présentent néanmoins des caractéristiques particulières qui les rattachent aux thèmes abordés par l’histoire. Ce qui ne les empêche pas de nécessiter la mobilisation de facultés de réflexion et de raisonnement qui en font tout autre chose que de simples exercices de réflexes, comme c’est trop souvent le cas dans bien des jeux inspirés des jeux de plate-forme présents dans le multimédia éducatif. Ainsi le jeu des pays, dans lequel il faut retrouver cinq caractéristiques (carte, drapeau, ville principale, langue parlée et écrite et image typique) demande de mettre en œuvre un système de déduction repris du master-mind. Mais en même temps il renvoie à la diversité interculturelle qui est celle de notre société. De même reconstituer le parchemin des droits de l’enfant en effectuant un parcours en évitant les obstacles permet d’entendre et de lire les articles principaux de la convention des droits de l’enfant. La réussite aux jeux permet de gagner une des pierres nécessaires à la poursuite de l’histoire. Chacune de ces pierres représente les valeurs fondamentales du projet éducatif du titre, partage, amitié, mémoire, courage, action et confiance. Le but final de l’histoire est de vaincre la sorcière Misère, grâce aux maximes qui ont été retenues à chacune des étapes du périple de l’enfant sans nom, maximes s’inscrivant elles aussi dans le cadre des droits de l’enfant en affirmant en particulier le droit de tous à grandir en famille, à pouvoir aller à l’école et ensuite trouver du travail. La grande réussite de ce titre est d’avoir trouver le ton juste pour traiter de ces problèmes graves. Il sera une aide précieuse aux éducateurs et aux enseignants pour les aborder avec les enfants.
Ces actions pourront d’ailleurs s’appuyer sur le dossier pédagogique présent sur le cédérom (accessible en dehors de l’histoire elle-même). La documentation fournie est particulièrement riche, textes principaux, l’historique des droits, ouvrages de référence et albums pour enfants, sans oublier les adresses des sites Internet les plus utiles sur le sujet. Sont aussi fournis le scénario du cédérom et le texte de la chanson du générique, présente par ailleurs dans le Karaoké. Enfin on trouvera des propositions de séquences d’animation qui pourront être autant de points de départ de projets éducatifs.
L’enfant sans nom est un cédérom tout à fait exemplaire. Non seulement il est le résultat d’actions militantes mobilisant enfants et adultes de la région marseillaise. Non seulement il traite de façon précise et efficace des thèmes fondamentaux. Mais il réussit aussi à proposer aux enfants des jeux stimulants et sollicitants leur capacité de réflexion, parfaitement intégrés à une histoire toute simple dont l’émotion n’est jamais absente.
Jean-Pierre Carrier