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La Jetée suivi de Sans Soleil

Jean Pierre Carrier

Chris Marker, Un DVD, Arte vidéo

Chris Marker est un cinéaste rare et trop peu présent sur nos écrans ; que ce soit au cinéma ou à la télévision. Pourtant, son œuvre, particulièrment fournie depuis 1952 - date de sa première réalisation - et particulièrement diversifiée (Marker est le plus souvent qualifié de créateur inclassable), mérite une attention toute particulière dans la mesure où ; selon le sous-titre du livre que Guy Gauthier lui a consacré, elle permet d’opérer un véritable Voyage à travers les médias.
Ce DVD est donc précieux ; il offre la possibilité de découvrir deux facettes bien différentes de cette œuvre et suscite une envie irrésistible d’en connaître plus. Espérons que les éditeurs auront le courage d’y répondre !

Au premier abord, La Jetée se présente comme de la science-fiction. À partir d’un point de départ réaliste - une promenade le dimanche sur la jetée d’Orly - nous sommes plongés dans l’après troisième guerre mondiale, dans un monde où la ville de Paris a été détruite et où la seule vie possible ne peut qu’être souterraine. Les vainqueurs qui gouvernent désormais la ville - présentée sous l’aspect d’une dictature - se livrent à d’inquiétantes expériences sur les survivants faits prisonniers. Il y a là bien sûr une deuxième piste, renvoyant à l’engagement politique de l’auteur mais ceci n’est peut-être pas encore l’essentiel car à cette dénonciation de la tyrannie, se superpose une réflexion sur la mémoire ; thème omniprésent chez Chris Marker. Les expériences réalisées sur les prisonniers, proposent un voyage dans le temps : dans le futur et dans le passé. C’est cela qui constitue le cœur de l’histoire qui nous est racontée ; la volonté désespérée d’un des prisonniers d’aller toujours plus loin dans les expériences, au mépris de la souffrance et du risque de mort, pour essayer de retrouver les images de son passé, en particulier celles du visage d’une jeune femme, connue mais oubliée, retrouvée mais à jamais perdue. Les images, souvenirs de cette femme, occupent la place centrale du film et permettent ainsi de comprendre le choix de Marker : des images fixes, en noir et blanc, filmées au banc-titre, la bande son étant constituée du commentaire off d’un narrateur inconnu. Aujourd’hui encore, ce choix est tout à fait unique et ne manquera pas de surprendre, voire de désorienter bien des spectateurs. Passé le choc initial, il s’impose pourtant dans son impérieuse nécessité et l’on comprend que l’influence de ce petit film ; petit par sa durée (20 minutes), dans l’histoire du cinéma mondial est loin d’être achevé.

Sans Soleil, réalisé vingt ans après La Jetée, contribue, par de tout autres moyens, à renforcer la réputation de Chris Marker de cinéaste inclassable. Il s’agit, à première vue, d’un documentaire mais le caractère extrêmement polysémique de ce terme ; l’arbitraire qu’il y a bien souvent à séparer de façon catégorique : la fiction de la non fiction, amène à récuser cette dénomination comme étant trop simplificatrice. Le terme d’essai serait sans doute plus rigoureux, à condition d’inclure la dimension tout à fait personnelle de l’œuvre.
Sans Soleil nous conduit du Japon en Afrique en passant par l’Islande, sur les traces d’un voyageur attentif aux lieux mais surtout aux personnes rencontrées et aux événements importants de leur vie. Un voyage qu’il faut prendre le temps de faire à plusieurs reprises, pour savourer la richesse des images et du commentaire. Là, le chapitrage que nous offre le DVD est d’un grand secours.

Si ces deux œuvres se suffisent à elles-mêmes, ne boudons quand même pas les quelques bonus qui nous sont offerts. En ce qui concerne l’extrait du magazine Court-circuit, présentant le clip de Jump they say de David Bowie ; c’est hélas un peu trop court car on n’a qu’une envie, c’est de voir le clip en entier. Pour la bande-annonce originale de L’armée des douze singes de Terry Gilliam, il n’y a pas grand chose à dire. Quant au portrait de Chris Marker par Chris Darke, avec des interviews de Michael Shamberg et de Terry Gilliam ; c’est de loin le bonus le plus intéressant, même s’il ne remplace pas vraiment une véritable interview de Marker lui-même. Mais existe-t-elle quelque part ?

Jean Pierre Carrier

Mise en ligne le 11 mai 2006

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