Une jeune fille, 12 ans, vit seule avec son père. Elle ne dit pas, en ouvrant son blog, à la suite de quelle circonstance : décès de la mère, séparation ? Tout au long du blog, la mère est absente. Définitivement semble-t-il. C’est la relation avec le père qui occupe tous les messages. La jeune bloggeuse le dit à plusieurs reprises, il ne s’occupe pas assez d’elle, ne la regarde pas assez, ne lui parle pas beaucoup. S’intéresse-t-il à elle ? La communication est difficile. Sur les événements quotidiens comme sur les moments clés de l’adolescence. Comment va-t-elle lui annoncer ses premières règles ? Un père peut-il remplacer dans cette situation une présence féminine ? Peut-il avoir une fonction maternante ? La famille mono-parentale est ici vécue sur le mode du manque.
Cette situation déjà difficile à vivre pour l’adolescente va cependant empirer encore. Le père a une nouvelle relation, qui est immédiatement désignée comme l’intruse. Dans le langage ado, c’est une « pouf ». La suite du blog devient un véritable feuilleton dramatique où chaque épisode est plus difficile à vivre que le précédent : la compagne du père vient vivre à la maison, elle est enceinte, une petite sœur naît. Les messages disant les soupçons de l’insupportable sont répétitifs, mais l’angoisse monte inexorablement au fur et à mesure que les choses se précisent. Pour cette adolescente qui se sent totalement dépassée par la situation, la vie devient est de plus en plus difficile. En parler sur un blog est peut-être alors la seule solution pour éviter de sombre totalement. Dire les choses avec précisions : les cris du bébé la nuit qui empêchent de dormir, le fossé qui s’est creusé avec le père... En espérant trouver des messages de soutien dans les commentaires.

Les exemples du même type ne sont pas rares sur les blogs d’adolescents. Dans tous les cas, le blog aide à vivre, à accepter ses difficultés, à réduire la souffrance. En la disant d’abord. En trouvant aussi le soutien moral de ceux qui vivent des situations semblables Le blog apparaît ici dans sa spécificité. Ce n’est jamais l’équivalent d’un journal intime, qu’on garde le plus secret possible, ou qu’on ne dévoile qu’à une seule personne. Dans tous les cas où le blog s’apparente à une auto-thérapie, c’est toujours la communication qui est fondamentale. Mais le blog n’est pas seulement le passage de la sphère privée à la sphère publique. Ce n’est pas la négation de l’une au bénéfice de l’autre. L’intime n’est pas l’objet d’une négation. Les blogs en question ne sont pas exhibitionnistes. Les messages où les ados parlent de ce qu’ils ressentent au plus profond d’eux-mêmes ne sont pas des confessions lancées au hasard dans l’infinité de la blogosphère. Les ados ne s’adressent pas aux inconnus. Ils s’adressent à d’autres ados, qui comme eux font un blog, dans le même espoir de créer de la communication, et avec qui il est possible d’avoir des échanges. C’est pourquoi ces types de blogs n’existent guère sur les plates-formes où l’on reste anonyme, perdu dans la foule des bloggeurs, comme sur Skyblog où le nombre considérable de blogs rend difficile de nouvelles rencontres, avec qui on se sentira immédiatement en confiance< ; Par contre, lorsque tout est fait pour favoriser et développer les contacts et les échanges, comme sur Nrjblog, alors le blog peut devenir le lieu où l’on confie ses problèmes, pour qu’ils soient lus par d’autres qui pourront les comprendre pour les vivre eux aussi et dont les messages en commentaires ne seront pas convenus. Dans les communautés d’ados qui se créent ainsi spontanément à partir de leurs blogs c’est toujours la sincérité et l’authenticité qui prime. Rares y sont les faux-semblants. Les ados, dans leur grande majorité, ne bloggent pas masqués.

Il est clair cependant, que tous les ados ne vivent pas leur blog dans cette perspective thérapeutique. Beaucoup font un blog simplement pour faire un blog, pour faire comme tout le monde, et un très grand nombre de messages sont des plus futiles. Mais même dans un tel contexte, les jeunes bloggeurs sont toujours sensibles aux commentaires qu’ils reçoivent et sont toujours enclins à en laisser sur les blogs qu’ils visitent. Les statistiques de NRJblog indiquent pour chaque blog le nombre de commentaires envoyés et de commentaires reçus. Du coup un trop grand déséquilibre entre ces deux nombres est toujours mal vécu. Comment peut-il se faire qu’on envoie des commentaires et qu’on n’en reçoit pas ? L’absence de commentaires sur un blog est aussi très souvent évoquée comme cause d’arrêt d’un blog, puisque cette pénurie signifie clairement que le blog ne sert à rien, c’est-à-dire à personne Et c’est bien parce que le blog peut permettre de poursuivre la communication sur MSN ou par message personnel qu’il est si utilisé par ceux qui ont besoin de cette communication qu’ils ne trouvent sans doute pas dans la vie réelle.

En définitive, la communication virtuelle qui se développe par blog interposé est toujours psychiquement utile, avant même de l’être socialement. Parce qu’elle n’a de sens qu’entre pairs, à l’abri donc du regard des adultes dont on craint toujours le jugement ; parce qu’elle est protégée par l’anonymat d’un pseudo, elle peut jouer le rôle de bouée de sauvetage dans les péripéties de la vie adolescente. Sur les blogs où s’exprime la difficulté de vivre, il y a toujours un mot de connivence, de réconfort, de compréhension, laissé en commentaire. Le monde moderne donne bien rarement de telles occasions.

Jean Pierre Carrier