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Dossiers pédagogiques >> Cinéma documentaire

LES LIP, l’imagination au pouvoir. de Christian Rouaud

Jean Pierre Carrier

Quelques questions sur un documentaire

1 Pourquoi faire aujourd’hui un film documentaire sur les événements de 1973-74 concernant l’usine Lip de Besançon et le conflit social qui pendant plusieurs années fit la une de l’actualité politique et sociale en France et en Europe ?

C’est sans doute la question à laquelle il est le plus facile de répondre.
Par exemple, on peut dire qu’il a pu paraître important à un cinéaste « engagé » ( ?) de sortir les événements Lip de l’oubli, d’éviter qu’ils soient simplement renvoyés à une date dans l’histoire des mouvements sociaux qui ont marqué la France dans les années 70, dans la continuité des événements de Mai 68.
Et si l’on demande ensuite pourquoi le film sort aujourd’hui, fin mars 2007, en pleine campagne électorale, il est alors possible de formuler, ne serait-ce qu’à titre d’hypothèse sujette à discussion, la conclusion du film, sa « leçon » : la liquidation de Lip marque la fin du capitalisme à visage humain, attentif à la composante humaine de l’économie, pour ouvrir la période contemporaine d’un capitalisme uniquement préoccupé par le profit.

Ceci étant dit concernant globalement la portée politique du film, un certain nombre de questions peuvent ensuite se poser concernant plus précisément sa dimension filmique.

1 Pourquoi le film est-il intitulé « Les Lip » alors que, en dehors des images d’époques, de manifestations ou d’assemblées générales, ou d’ouvriers au travail dans l’usine, on ne donne la parole qu’à 6 ou 7 « Lip », les leaders incontestés de l’époque, ou du moins ceux qui aujourd’hui peuvent encore jouer ce rôle.
Où est passée la parole des ouvriers de base ? Que sont devenues les 830 personnes dont le sort professionnel a été sans cesse au cœur du conflit ? Ont-ils jamais existés ? Et l’imagination n’a-t-elle été jamais que le fait d’un pouvoir ?

2 Pourquoi retracer l’histoire d’un événement social fondamental à partir de la mémoire actuelle de quelques-uns uns de ses protagonistes même si ceux-ci peuvent être considérés comme les acteurs les plus actifs de cette histoire ?
Leur mémoire est-elle si fidèle que la possibilité d’erreurs ou de trous soit totalement exclue. Est-elle si objectivement précise qu’elle exclura de facto toute implication personnelle valorisant le rôle et la personne de l’interviewé.
La vérité historique peut-elle sortir de la bouche des acteurs de l’histoire, ceux-ci parlant plus de 30 ans après ?

3 Pourquoi la séquence finale du film est-elle centrée sur le pouvoir : personnel politique de l’époque (le ministre de l’industrie) et le patron mis en position de repreneur de l’entreprise après les accords de Dole ; ces deux personnages pouvant chacun à leur façon apparaître comme « de gauche » (le premier gaulliste, le second rocardien) ?
Qu’elle sens politique peut avoir la distance « critique » qu’ils prennent aujourd’hui par rapport au pouvoir de l’époque, distance tout à fait explicite, même dans les propos du Ministre Charbonnel, quoique moins directe que le bras d’honneur (image forte de cette « conclusion ») du patron Neuschwander, en direction du pouvoir giscardo-chiraquien alors triomphant ?

4 Pourquoi les leaders de Lip dont les déclarations d’aujourd’hui constituent la quasi-totalité du film ne sont pas cadrés de la même façon, les variations étant significatives dans la succession des images des uns à la suite des autres. Pourquoi passe-t-on ainsi d’une légère contre plongée à un cadrage quasiment frontal ? Qu’est-ce qui justifie l’utilisation majoritaire pour certains interviewés de gros plans de visage alors que d’autres n’ont pratiquement jamais droit à ce traitement filmique ?

5 Quel rôle jouent concrètement dans le film les images d’archive et comment sont-elles utilisées ?
En particulier pourquoi la majorité d’entre elles sont-elles affectées d’un grain tel qu’on pourrait très bien en les regardant en dehors de toute connaissance historique la situer dans les années 20, ou du moins comme étant filmées à l’époque du cinéma muet ?

6 Pourquoi l’accompagnement musical du film est-il essentiellement fait de l’utilisation tonitruante de musique symphonique, le plus souvent plaquée sur les images d’époque ?

Jean Pierre Carrier

Mise en ligne le 4 avril 2007

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