Cinéaste néerlandais, traditionnellement étiqueté documentariste, Johan Van der Keuken est l’auteur d’une œuvre importante, extrêmement riche et variée. Relativement peu connu en France, l’édition récente de ses œuvres complètes en DVD chez Montparnasse Multimédia devrait permettre à un plus large public de le découvrir, et rendre justice à son immense talent.

Vers le Sud est un carnet de voyage ; d’Amsterdam, la ville de toujours du cinéaste, et Le Caire, en passant Paris, les Alpes, Rome, le sud de l’Italie. Cette traversée d’une partie de l’Europe pour aboutir en Afrique ne s’inscrit pas dans l’opposition courante entre le nord et le sud, pays riches / pays pauvres. Le propos de Van der Keuken ne véhicule pas de tels clichés. Le cinéaste s’intéresse beaucoup plus directement aux problèmes concrets qui touchent les personnes particulières qu’il rencontre, et que le film érige en quelque sorte en archétype. Les difficultés de logement, l’immigration, les mutations de la vie rurale, la mafia, le surpeuplement des villes, sont ainsi successivement l’objet d’une exploration systématique et minutieuse, à travers un vécu spécifique mais dont la signification générale n’échappera à personne.

Tournage caméra à l’épaule par le cinéaste lui-même ; interviews cadrées en gros plan à base de questions simples et souvent répétitives ; nombreux plans de coupe et vues générales de paysages , villes ou montagnes ; montage omniprésent mettant souvent en avant des séquences purement visuelles créant une ambiance très particulière ; utilisation parcimonieuse, et donc très efficace, de musique de jazz où le saxo domine le plus souvent ; telles sont quelques unes des caractéristiques du langage de Van des Keuken. Vers le Sud permet en particulier de concrétiser ces différents points.

Pistes d’animation.

Avant de voir le film, échanges à partir du titre.

Qu’évoque l’expression « vers le sud » ? On peut proposer à chacun de construire son itinéraire personnel : quel point de départ et quel point d’arrivée, et quelles peuvent être les étapes intermédiaires. En le présentant, chacun indiquera comment il a élaboré son parcours : est-il purement imaginaire ou bien comprend-il des villes ou des régions que l’on connait, que l’on a visitées ou que l’on a vues dans des films ou d’autres documents. Pour aller plus loin, les participants pourront évoquer les images qu’ils mobilisent à propos de chaque étape de leur itinéraire. Collectivement on pourra alors essayer de trouver des caractéristiques communes des représentations concernant le nord et le sud, en quoi les a-t-on opposés et quel sens peuvent avoir ces oppositions ?
Si l’on visionne ensuite le film dans sa totalité, un point de départ de la discussion peut alors consister dans une confrontation entre ce qui était ressorti de l’expression préalable du groupe et ce qu’il a ressenti au cours de la projection. L’animateur peut alors en profiter pour faire exprimer la perception que chacun peut avoir de la spécificité du film.

Débat après avoir vu le film dans sa totalité et sans travail préalable.

Le film date de 1980. Ce qu’il nous montre est-il caractéristique de cette époque ? A-t-il encore une actualité ?
Quelle est la position du cinéaste par rapport aux problèmes traités : squatteurs, immigration, mafia etc. S’engage-t-il personnellement ? Cherche-t-il à influencer le spectateur ? Peut-on rester neutres, extérieurs aux situations que vivent les personnes présentes dans le film ?
La pratique des interviews. Comment sont-elles menées ? Peut-on les considérer comme « journalistiques » ? En quoi diffèrent-elles des interviews que l’on a l’habitude de voir à la télévision, par exemple dans les reportages du journal télévisés ? Comment définir alors le rôle de l’interviewer ?
Le filmage et le montage. Quelle est la fonction des plans filmés « caméra à l’épaule ? » Comment d’ailleurs peut-on les identifier ? Peut-on parler de « cinéma direct ? » Cette dernière question peut permettre de situer l’œuvre de Van der Keuken dans l’histoire du cinéma documentaire.
En ce qui concerne le montage, comment peut-on définir son rôle ? Si l’on remarque qu’il est omniprésent tout au long du film, utilise-t-il des moyens particuliers ? On pourra ici évoquer les transitions entre les différents lieux du voyage vers le sud, l’arrivée à Paris par exemple. De même, l’utilisation de plans de coupe identiques, la Goutte d’Or, ponctue cette séquence d’une façon originale. Les spectateurs y ont-ils été sensibles ?

Analyse de séquences particulières.

  la manif des squatters à Amsterdam. C’est la séquence inaugurale du film. Quel sens donner à cette place ? Donne-t-elle le ton du film ? Elle est en noir et blanc. Pourquoi ? C’est la seule du film à l’être. Est-ce un hasard ?

  la vieille dame dans l’escalier, à Rome. Quelle impression se dégage de cette séquence (lenteur, vieillesse, souffrance…) ? Est-elle perçue comme originale ? Qu’est-ce qu’elle ajoute au portrait qui suit ? Peut-on trouver dans le film des images qui lui fassent écho : soit par contraste (rapidité, bruit…) soit par analogie ?

  Les moyens de transport dans Le Caire (trains, charrettes, etc.) Sont-ils caractéristiques de la ville, du pays ? Comment sont-ils filmés ? Les trains en particulier sont vus en plongé. Pourquoi ? En quoi tous ces plans contribuent-ils à forger une image particulière de la ville.

Les images du film que l’on a retenues ?

Cette question peut servir à clore le débat, mais pourrait tout aussi bien permettre de le lancer.
A titre d’exemple, voici ma sélection personnelle :
 Les pieds sur le tonneau.
 Le squatteur qui s’adresse à la police de la fenêtre de l’immeuble.
 La rue de la Goutte d’Or à Paris.
 Le couple de distillateurs de lavande devant leur maison.
 Les pieds de la vieille dame sur les marches de l’escalier.
 Un train dans une rue du Caire.

Jean-Pierre Carrier