Dossiers pédagogiques >> Cinéma documentaire

ENTRE LES MURS - Laurent Cantet
Jean Pierre Carrier

Nouveaux programmes et modification des horaires de l’école primaire, réforme du lycée et peut-être du bac, réforme du recrutement et de la formation des enseignants…le monde de l’éducation est en pleine effervescence ! Dans ce contexte, le niveau collège semble ne pas être en première ligne. Pourtant, le collège a souvent été considéré comme le maillon faible de notre système éducatif. Celui en tout cas où il est sans doute le plus difficile d’enseigner. Le film de Laurent Cantet ne dément pas cette impression. Ce qu’il nous montre avec insistance c’est qu’enseigner le français à des adolescents de 13-14 ans dans un collège réputé « difficile » est un rapport de force constant. Et que la violence, pas seulement verbale, y est omniprésente. De quoi faire un film « percutant ». Avec des images fortes, propres à susciter la réflexion de tous ceux qui sont concernés par l’éducation, c’est-à-dire tout membre de notre société.

Etre et Avoir de Nicolas Phillibert , le précédent succès cannois consacré à l’éducation – sans palme d’or cependant – était ouvertement un documentaire. Le cinéaste d’Entre les Murs revendique la dimension fictionnelle. Profs et élèves ont appris leur rôle, même si ces derniers ne sont pas des acteurs professionnels et même si la place de l’improvisation est prépondérante. Mais cela ne contredit pas la dimension document du film. Certes, la réalité qu’il nous montre est reconstruite, mais c’est bien du réel – et non de l’imaginaire- qui en constitue la matière unique. La classe de quatrième où il se déroule est fabriquée pour les besoins du film. Mais les ados qui y sont regroupés sont bien des élèves. Et puis surtout le prof y joue son propre rôle. Un peut comme le Nanouk de Flaherty. Cette référence au film qui est considéré comme le premier véritable documentaire de l’histoire du cinéma est pratiquement inévitable dès le moment où ce prof c’est François Bigodeau lui-même, auteur du livre dont le film est une adaptation, et lui-même prof dans un collège pendant de longues années.

Entre les Murs est-il un film « pédagogique » ?
Certainement pas au sens où il présenterait une réflexion sur les méthodes d’enseignement. F Morin fait la classe comme bien d’autres enseignants. D’autres pratiques existent, bien différentes. Le film ne questionne pas cela. Il ne traite aucunement de didactique. Son centre d’intérêt, c’est les rapports entre les ados et les adultes. Entre les Murs est un film pédagogique au sens où il traite du rapport d’autorité. Et c’est sur ce point qu’il interroge fortement tout enseignant. Comment obtenir calme et silence dès l’entrée en classe ? Comment obtenir que chaque élève accomplisse le travail qui lui est demandé et sans lequel il ne peut y avoir d’apprentissage ? Comment obtenir que les élèves cessent de se parler de façon agressive ? Comment désamorcer les conflits qui semblent inévitables entre garçons et filles ou entre maghrébins et africains à propos du foot ? Et surtout comment l’enseignant peut-il être lui-même respecté alors qu’il doit imposer à ces ados si différents entre eux de se comporter comme des élèves responsables alors qu’ils vivent ouvertement l’école sur le mode de la contrainte inacceptable, de l’inutile et donc de l’ennui ?

Le film systématise la contestation des élèves. Tout est sujet à discussion, à refus de leur part. Comme s’ils n’avaient qu’un but : pousser le prof jusqu’aux limites de sa patience, le faire craquer. Ce qu’ils ne sont jamais loin de réussir. Car le film ne nous montre pas un super prof, super héros, qui réussirait tout là où d’autres ne rencontrent que difficultés. Car l’enjeu pour lui c’est de continuer à respecter ses élèves lorsque visiblement eux ne le respectent plus, de ne pas les insulter lorsqu’ils l’insultent, de ne pas répondre à l’agressivité par l’agressivité ou le sarcasme, de maintenir son exigence d’enseignement lorsque les ados ne se vivent pas comme élèves et sapent par leur comportement les fondements même de la relation pédagogique. Dans ce contexte, le prof François Marin n’est pas exempt de contradictions. D’un côté il essaie de rester ferme sur les principes, de ne pas accepter l’inacceptable. Mais en même temps, il refuse la position de la répression, doutant des sanctions que l’institution met à sa disposition. Mais qu’a-t-il à proposer comme alternative ? La séquence du conseil de discipline est bien sûr ici exemplaire. Au niveau cinématographique il est facile d’en souligner la dimension dramatique. Sa force émotionnelle est indéniable, notamment dans les déclarations de la mère de Souleymane, l’élève « coupable ». Au niveau pédagogique, elle pose on ne peut plus clairement le problème de l’autorité, à la fois au niveau du fonctionnement de l’institution et de celui de la responsabilité éducative des enseignants. On est bien loin des déclarations idéologiques réclamant, comme le fait la loi de 2005, de « restaurer l’autorité des enseignants ». Sur le terrain, l’urgence est de trouver les moyens de concilier cette autorité, indispensable, avec la liberté des élèves. Liberté sans laquelle ils ne sont plus élèves !

Jean Pierre CARRIER

Mise en ligne le 18 octobre 2008
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